
Encore des histoires du monde du spectacle ! Bon, d’accord. Août 2001, je suis toujours premier assistant mise en scène et si vous avez lu de fond en comble ce blog, vous connaissez le plupart des attributions de mon métier (sinon, vous trouverez les renseignements ad hoc ici). En cette période estivale, c’est un peu la pénurie de boulot alors j’accepte d’assister un jeune réalisateur sur deux téléfilms pour la collection des séries roses d’une chaîne hertzienne. On appelle ce genre de produits des « érotic soft ». L’érotic soft est à peu près l’inverse total du porno hard, en tout cas dans sa terminologie : pas de poils, pas de membres, pas de trous. Pour le reste… Je rencontre donc la productrice – qui, en dehors de cette activité annexe, alimente d’autres chaînes en produits plus classiques, mais il paraît que le septuagénaire provincial est très friand de ces gaudrioles cathodiques nocturnes – reçois en échange les deux scénario que nous devons tourner et une formation accélérée du savoir-faire maison. A savoir : 90 minutes se tournent en… huit jours et j’ai huit jours pour préparer.
Elevé chez les jésuites, le réalisateur, qui a mon age, est un peu effrayé par la teneur des scripts et l’horizon qui se profile devant lui. Je tente de le rassurer, on est bien d’accord qu’il ne joue pas sa carrière sur ces deux films, on fait de l’alimentaire et puis, à vue de nez, c’est pas la mer à boire. A mon retour chez moi, je lis les scénario qui me tombent l’un après l’autre des mains et je commence à douter du résonnement que j’ai tenu quelques heures plus tôt. Le casting commence sous ses bons auspices. Visiblement, l’érotic soft attire trois types de comédiens : le comédien en fin de droits qui cherche désespérément le cachet et n’en est plus à tergiverser ; la fille qui fait des photos de cul pour internet ; la hardeuse à succès qui vient là parce qu’elle gagnera plus que sur un Dorcel du samedi. Nos trois premiers rôles sont bookés en une journée. Coté plan de travail, c’est déjà plus coton. J’ai beau faire de la daube, je n’en reste pas moins consciencieux, j’ai beau retourner ça dans tous les sens, ça ne rentre pas en huit jours mais en dix et encore sous speed. Je reviens vers la productrice pour lui exposer le problème. Réponse :
- Je crois qu’on s’est pas bien compris. C’est pas dix jours, c’est même pas neuf, c’est huit !
- Moi je veux bien, mais on a cinq scènes de plumard à faire, ça veut dire maquillage entier du corps, lumière…
- Je t’arrête tout de suite. T’as deux caméras pour les scènes de cul. Une scène de cul, c’est vingt minutes de tournage. Une scène normale, c’est grand max, dix minutes. Point. »
Me voilà prévenu ou conditionné, c’est comme on veut. Mais à la fin de la journée, mon plan de travail ressemble à la commande passée. Et on peut commencer le tournage. Je passe sur les épisodes croquignolets et puis il n’y en a pas tant que ça. A part peut-être ce petit matin, rue de la Gaîté, où on fait le pied de grue devant un sex-shop dans lequel on doit tourner, en attendant que le gérant sorte de son lit. Le type arrive, le café à peine digéré, il nous ouvre le rideau de fer de sa boutique et tout d’un coup, il aperçoit la grande pintade blonde qui nous accompagne (notre héroïne hardeuse). Les yeux lui jaillissent du crâne : c’est un fan de la première heure. Imaginez-vous ouvrant votre porte à votre star préférée. « Putain, j’ai tous vos DVD ! ».Tu m’étonnes, elle est même en tête de gondole sur tout un rayon du magasin. Ça encore, ça nous fait rire. La suite est moins glamour. On passe trois jours dans une pépinière d’entreprise désaffectée à Colombe, à filmer les ébats de notre trio. Une après-midi entière à enchaîner les postures dénudées dans une reproduction en fourrure synthétique d’un peep-show au kitch délétère. J’ai quasiment pas bouger de derrière le moniteur vidéo et je rentre chez moi avec un splendide staphylocoque au genou. La grande classe.
Mais c’est le dernier jour de tournage qui marque les esprits. Nous sommes dans un appartement du quartier de la Bastille. En milieu d’après-midi, nous passons dans la chambre pour les vingt minutes réglementaires d’un accouplement en bord de lit. La hardeuse est repartie vers d’autres aventures au bras de son mec, un cador miniature en survêt’ qui ne quitte jamais son yorkshire calé au creux du coude. Ca tombe bien, c’est aussi la fin de l’histoire, celle où la fiancée trompée par l’amoureux volage a eu sa revanche en couchant avec la maîtresse de celui-ci. Tout est pardonné, les choses sont rentrées dans l’ordre, on se remet en selle avec un petit câlin missionnaire. Les caméras se croisent autour du couple emmêlé (le cachetonneur et la fille-qui-fait-des-photos-pour-internet), le réalisateur cache son intarissable malaise derrière ses moniteurs, là-bas dans la cuisine et dirige la scène à distance avec un micro. Les vingt minutes s’écoulent, aussi interminable qu’un orgasme feint. Il nous reste encore trois séquences à tourner. Derrière, une semaine de break, puis une nouvelle semaine de préparation avant d’enchaîner le second film. L’équipe est plutôt décontractée – à l’instar du comédien cachetonneur, peu d’entre nous se sont déjà livré à un tel exercice. Heureusement, il ne nous reste plus que des scènes de bla-bla inconsistant à mettre en boîte, je renvoie tout le monde au costume, à la pause clope et aux bascules de lumières. Au milieu de l’agitation, je croise la fille-qui-fait-des-photos-pour-internet; dans son peignoir de bain, elle ère dans le couloir. Je la presse de remonter dans sa loge quand je remarque la blancheur de son visage et les cernes sous ses yeux. Je n’ai pas le temps de lui demander si elle a un problème, elle me tombe dans les bras, inerte. On appelle les pompiers, les pompiers l’embarquent, la directrice de production montent avec eux et on se retrouve comme des cons à attendre, en bricolant les dernières scènes comme on peut.
Deux heures plus tard, la directrice de production revient de l’hôpital, un peu pâle elle aussi. On la presse de questions, elle s’assoit et nous lâche que la fille-qui-fait-des-photos-pour-internet a fait une fosse couche, là, sur le plateau…
Comme tout les tournages, celui-ci aurait dû s’achever par une fête de fin de film. A la place de quoi j’ai signifié à qui de droit que je partais en vacances et qu’on pouvait m’oublier.
Sébastien Gendron
Elevé chez les jésuites, le réalisateur, qui a mon age, est un peu effrayé par la teneur des scripts et l’horizon qui se profile devant lui. Je tente de le rassurer, on est bien d’accord qu’il ne joue pas sa carrière sur ces deux films, on fait de l’alimentaire et puis, à vue de nez, c’est pas la mer à boire. A mon retour chez moi, je lis les scénario qui me tombent l’un après l’autre des mains et je commence à douter du résonnement que j’ai tenu quelques heures plus tôt. Le casting commence sous ses bons auspices. Visiblement, l’érotic soft attire trois types de comédiens : le comédien en fin de droits qui cherche désespérément le cachet et n’en est plus à tergiverser ; la fille qui fait des photos de cul pour internet ; la hardeuse à succès qui vient là parce qu’elle gagnera plus que sur un Dorcel du samedi. Nos trois premiers rôles sont bookés en une journée. Coté plan de travail, c’est déjà plus coton. J’ai beau faire de la daube, je n’en reste pas moins consciencieux, j’ai beau retourner ça dans tous les sens, ça ne rentre pas en huit jours mais en dix et encore sous speed. Je reviens vers la productrice pour lui exposer le problème. Réponse :
- Je crois qu’on s’est pas bien compris. C’est pas dix jours, c’est même pas neuf, c’est huit !
- Moi je veux bien, mais on a cinq scènes de plumard à faire, ça veut dire maquillage entier du corps, lumière…
- Je t’arrête tout de suite. T’as deux caméras pour les scènes de cul. Une scène de cul, c’est vingt minutes de tournage. Une scène normale, c’est grand max, dix minutes. Point. »
Me voilà prévenu ou conditionné, c’est comme on veut. Mais à la fin de la journée, mon plan de travail ressemble à la commande passée. Et on peut commencer le tournage. Je passe sur les épisodes croquignolets et puis il n’y en a pas tant que ça. A part peut-être ce petit matin, rue de la Gaîté, où on fait le pied de grue devant un sex-shop dans lequel on doit tourner, en attendant que le gérant sorte de son lit. Le type arrive, le café à peine digéré, il nous ouvre le rideau de fer de sa boutique et tout d’un coup, il aperçoit la grande pintade blonde qui nous accompagne (notre héroïne hardeuse). Les yeux lui jaillissent du crâne : c’est un fan de la première heure. Imaginez-vous ouvrant votre porte à votre star préférée. « Putain, j’ai tous vos DVD ! ».Tu m’étonnes, elle est même en tête de gondole sur tout un rayon du magasin. Ça encore, ça nous fait rire. La suite est moins glamour. On passe trois jours dans une pépinière d’entreprise désaffectée à Colombe, à filmer les ébats de notre trio. Une après-midi entière à enchaîner les postures dénudées dans une reproduction en fourrure synthétique d’un peep-show au kitch délétère. J’ai quasiment pas bouger de derrière le moniteur vidéo et je rentre chez moi avec un splendide staphylocoque au genou. La grande classe.
Mais c’est le dernier jour de tournage qui marque les esprits. Nous sommes dans un appartement du quartier de la Bastille. En milieu d’après-midi, nous passons dans la chambre pour les vingt minutes réglementaires d’un accouplement en bord de lit. La hardeuse est repartie vers d’autres aventures au bras de son mec, un cador miniature en survêt’ qui ne quitte jamais son yorkshire calé au creux du coude. Ca tombe bien, c’est aussi la fin de l’histoire, celle où la fiancée trompée par l’amoureux volage a eu sa revanche en couchant avec la maîtresse de celui-ci. Tout est pardonné, les choses sont rentrées dans l’ordre, on se remet en selle avec un petit câlin missionnaire. Les caméras se croisent autour du couple emmêlé (le cachetonneur et la fille-qui-fait-des-photos-pour-internet), le réalisateur cache son intarissable malaise derrière ses moniteurs, là-bas dans la cuisine et dirige la scène à distance avec un micro. Les vingt minutes s’écoulent, aussi interminable qu’un orgasme feint. Il nous reste encore trois séquences à tourner. Derrière, une semaine de break, puis une nouvelle semaine de préparation avant d’enchaîner le second film. L’équipe est plutôt décontractée – à l’instar du comédien cachetonneur, peu d’entre nous se sont déjà livré à un tel exercice. Heureusement, il ne nous reste plus que des scènes de bla-bla inconsistant à mettre en boîte, je renvoie tout le monde au costume, à la pause clope et aux bascules de lumières. Au milieu de l’agitation, je croise la fille-qui-fait-des-photos-pour-internet; dans son peignoir de bain, elle ère dans le couloir. Je la presse de remonter dans sa loge quand je remarque la blancheur de son visage et les cernes sous ses yeux. Je n’ai pas le temps de lui demander si elle a un problème, elle me tombe dans les bras, inerte. On appelle les pompiers, les pompiers l’embarquent, la directrice de production montent avec eux et on se retrouve comme des cons à attendre, en bricolant les dernières scènes comme on peut.
Deux heures plus tard, la directrice de production revient de l’hôpital, un peu pâle elle aussi. On la presse de questions, elle s’assoit et nous lâche que la fille-qui-fait-des-photos-pour-internet a fait une fosse couche, là, sur le plateau…
Comme tout les tournages, celui-ci aurait dû s’achever par une fête de fin de film. A la place de quoi j’ai signifié à qui de droit que je partais en vacances et qu’on pouvait m’oublier.
Sébastien Gendron
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