mercredi 28 novembre 2007

L'image & le son

Oui, définitivement, les métiers du cinéma sont le meilleur moyen de découvrir de nouveaux horizons...

Ce qu’il y a de bien avec les métiers de l’image et du son, c’est qu’on peut découvrir des endroits qui, en temps normal, nous sont totalement inaccessibles. En 1995, je commence ma carrière dans le cinéma comme simple stagiaire sur un gros film français. Puis, je suis embauché par une boîte de production bordelaise qui me prend comme régisseur sur un documentaire pour France3. Le producteur m’explique d’entrée qu’il n’a pas la possibilité de payer l’équipe, mais qu’en tout état de cause, nous serons logés, nourris et blanchis pendant toute la durée du tournage. Vous me direz, comme engagement, c’est un peu normal : le tournage se fera sur le phare de Cordouan, au large de l’estuaire de la Gironde, en pleine mer, à cinq bornes des côtes. Evidemment, il appuie bien sur l’aspect aventure pour me faire avaler le morceau et rajoute que c’est sans doute pour lui et moi le début d’une longue amitié professionnelle.
Ma première mission consiste à conduire un camion rempli de deux tonnes de matériel jusqu’au port du Verdon, là-bas de retrouver l’un des gardien du phare, d’aller faire des courses de cinq jours pour toute l’équipe, ensuite de quoi, nous devons charger le matériel sur le bateau qui doit nous amener sur le phare. Et le temps est compté : profiter de la marée pour apponter le long de la digue du phare, sinon, c’est déchargement en pleine mer montante avec cuissardes.
Premier problème : les courses. On m’avait pas prévenu que c’était moi qui devais avancer l’argent. A l’époque, je n’ai pas de carte bleue. J’appelle le producteur qui me renvoie sur la co-productrice qui elle est bretonne. J’appelle donc la Bretagne, j’explique le problème et je me fais tancer par cette hystérique parce qu’on a engagé un stagiaire sans ressources et que j’aurais au moins pu prévenir. Je coupe court à la conversation en sortant mon carnet de chèque et je laisse à la caisse pour pratiquement 1500 francs de l’époque. Super !
Seconde problème : l’affaire du supermarché nous a retardé, les marins sont effrayés par le poids du matos à embarquer – là non plus, ils n’ont pas été prévenus – et le temps de tout charger, nous prenons la mer alors qu’elle monte. Résultat des courses… cuissardes. Deux tonnes de matos (caisses caméras, projecteurs, pieds de projecteur, machinerie) à décharger à bout de bras avec de l’eau à mi-poitrine, le panard. Mais je suis toujours aussi motivé.
Le reste de l’équipe débarque : la réalisatrice, le cadreur, le machiniste et l’ingénieur du son. Les journées sont rapidement éprouvantes. Nous montons le matériel en haut du fanal à l’aide d’une poulie que nous tirons nous-même, à l’ancienne, le redescendons de même, installons des rails de travelling à droite et à gauche et le machiniste, à qui on n’a pas proposé d’assistant, me prend rapidement sous son aile. Entre temps, je m’occupe aussi des trois repas par jour pour huit personnes, de la vaisselles et des poubelles, vu que le deal avec les Phares et Balises, c’est qu’ on s’occupe de l’intendance pendant toute la durée du tournage. Bref, quand la nuit tombe, je suis bien trop en vrac pour profiter des discussions de table, je fais la vaisselle et je vais me coucher. Et puis, je ne suis qu’un stagiaire, on prête rarement attention aux propos de ses gens-là. Rarement, jusqu’au dernier soir.
J’ai fait une bonne plâtrée de carbonara, la journée a été particulièrement exténuante, la réalisatrice particulièrement désagréable avec moi et l’apéritif met du temps à détendre tout le monde. Et puis ça vient, lentement, et entre le plat et le dessert, je reçois même quelques excuses pour le traitement du jour. Là-dessus, j’assure que tout va bien, que de toutes façons nous étions tous dans la même galère, alors bon. Et je rajoute que c’est juste un peu dommage qu’on ne soit pas payé pour tout le boulot écrasé. La réalisatrice manque alors de tomber de sa chaise et tout le monde me regarde avec des yeux ronds : « Tu n’es pas payé ? ». Et là je comprends : non, je ne suis pas payé et, malgré ce qu’on m’a annoncé au départ, je suis le seul. L’explication est simple : je suis le seul pris en charge par le producteur bordelais (véreux donc), les autres sont à la charge du co-producteur breton (honnête). Folle de rage, la réalisatrice décroche son portable et tente de joindre Bordeaux. Mais il est trop tard. En larmes, elle s’excuse pour ce qu’ils m’ont fait subir pendant tous ces jours. Je ne peux arguer qu’une chose : j’ai accepté ce contrat en l’état. Tout le monde m’assure qu’on ne lâchera pas l’affaire et que tout sera fait pour que Bordeaux me paye un salaire décent.
Mais le lendemain, je rentre avec mon camion, seul. Et une fois garé à la production, le producteur me tombe dessus à bras raccourci : qu’est-ce qui m’a pris d’aller raconter à tout le monde qu’il ne me payait pas ? Cette histoire ne les regardait pas et maintenant, c’est lui qui a des problèmes.
Evidemment, la fin de l’histoire est simple. Je n’ai jamais vu l’ombre d’un kopeck, jamais plus eu de contact avec aucune de ces deux productions. On m’a tout de même remboursé pour les courses.

Sébastien Gendron

2 commentaires:

Espace Multimédia a dit…

Sébastien, bravo, je crois que tu détiens le pompon! tu pourrais en faire un film ;-)
L'histoire ne dit pas si le film sur Cordouan a été diffusé quelque part?
Cath... de Bretagne

Pabst a dit…

Chère Cath,
Ce doc a certainement dû être diffusé puisqu'il avait été préacheté par france3. Quant à m'inspirer des faits pour faire un film, pourquoi pas tant que ce sont des histoires que j'ai moi même vécu.