mardi 27 mai 2008

Le fumeux de Havane

C'est de notoriété publique: les travailleurs sont rien que des feignasses, des combinards et des escrocs en puissance qui feraient grève juste pour obtenir le droit de sieste.
Alors que les patrons, eux...



J'aurais dû me méfier...
Ce patron de PME, fabricant et applicateur de produits chimiques pour le bâtiment, situé en plein milieu des vignes du Beaujolais, me reçoit pour un entretien d'embauche. Tout se passe bien. Au cours de la conversation, il prend un cigare dans une boite sur son bureau, et par réflexe de politesse, m'en offre un.
Fumeur de cigares, j'accepte.
Quelques minutes plus tard, il s'arrange, grâce à une acrobatie sémantique osée, pour me faire savoir le prix exact du cigare qu'il venait de m'offrir. La grande classe ! Là, j'aurais dû me méfier...
L'entretien arrive à son terme et on aborde le sujet du salaire. Il me demande mes prétentions. Cadre, je sais que l'on discute sur la base d'un salaire annuel brut. Je lui indique ce que je souhaite. Il ne discute pas et accepte immédiatement.
Chouette !
Je commence le mois suivant. Fin du premier mois, premier bulletin de salaire. Surprise, le salaire brut ne correspond pas au 12ème du salaire brut annuel sur lequel je suis bien certain que nous nous sommes mis d'accord. En gros, je touche la moitié de ce que j'attendais. Erreur de la comptabilité ? Mauvaise compréhension ? Un peu ennuyé, je vais voir ce charmant garçon et lui montre ma feuille de paie en lui rappelant nos accords. Et la réponse me cloue au mur. Avec un grand sourire, il m'explique :
"Oui, nous sommes d'accord sur un salaire annuel. Je vous donnerai le salaire mentionné sur votre feuille de paie tous les mois, et je régulariserai avec la différence le douzième mois" Fortiche, non ?
Inutile de dire que sa petite combine n'a pas fonctionné. J'ai exigé et obtenu un recalcul immédiat de mon salaire mensuel.
Plusieurs mois plus tard, je découvrais le vrai visage de ce triste sire. Il escroquait sa famille, son personnel, ses clients et ses fournisseurs. L'expérience dura moins d'un an, mais je garde un souvenir ému de cette superbe tentative d'arnaque d'un tout nouveau collaborateur.
Bravo l'artiste !

Gérard

mercredi 19 mars 2008

USINAGE 2 - PETITE REVUE DE PRESSE

A ceux qui se seraient imaginés que chez Blog Job on recyclait des témoignages datant de Zola, voici une bien triste suite à "Usinage".


On croit rêver, on ne rêve plus déjà et depuis longtemps. Le mépris des classes dirigeantes pour les travailleurs n'a pas pris une ride. La modernité, la démocratie, le politiquement correct, et j'en passe, recouvre à peine de leurs lambeaux d'hypocrisie la vérité vécue sur les lieux de travail. Si on relie des extraits de "Usinage" et des conditions de travail à l'usine Caravelair-Trigano de Tournon en 1975, on croit se plonger dans un passé lointain décrivant vaguement des conditions de travail qui n'existent plus. Parmi celle-ci un extrait :

« Moins spectaculaire, sur la chaîne, les peintres font des retouches sur les tôles quand celle-ci ont pris un coup de visseuse ou autre. Il n’y a pas de cabine de peinture, ils ne portent pas de masque, les vapeurs nous incommodent, mais personne ne se plaint, difficile de défendre les gens malgré eux. Au bout de six mois, leurs formules sanguines inversées montrent le degré d’intoxication! " et aujourd'hui plus de TRENTE ANS APRÈS, dans la même usine:

"Pour ne pas avoir protégé son personnel qui utilisait des produits nocifs sur les chaînes de montage du site de Tournon sur Rhône , Ardèche, la société Trigano, spécialisée dans la fabrication des camping-cars et de véhicules de loisirs, a été condamné à 30 000€ d'amende. Le directeur du site , a quant à lui écopé de trois mois de prison avec sursis et devra verser 1000€ d'amende pour chaque ouvrier exposé. » - in Aujourd’hui en France le 17 mars 2008

"Jean-Bernard Boulet, le directeur général de la société Trigano, qui fabrique des caravanes, a été condamné, jeudi 13 mars, par le tribunal correctionnel de Privas à trois mois de prison avec sursis, et son entreprise à 30 000 euros d'amende, pour " blessures involontaires" à la suite d'infractions aux règles de santé et de sécurité. M.Boulet devra aussi verser 1000 euros aux trois salariés , indisposés par des solvants . -- ( AFP) " in Le Monde du 15 mars 2008

C'est peut-être ça alors le progrès, la rapidité de la justice et la prise de conscience !

Patrick Aujard
ancien ouvrier à Caravelair-Trigano,
Tournon Ardèche


vendredi 11 janvier 2008

Carte postale

A ceux qui regrettent encore le bon vieux temps des pellicules photos, nous dédions cette expérience...


J'étais étudiant en sciences économiques et cherchais du boulot d'été à l'ANPE. Je postule pour une annonce pour bosser dans un labo de photo, pas d'expérience exigée.
Je reçois une convocation pour des tests, que je termine le premier (j'étais angoissé d'avoir fini si vite !) mais bon, les tests, c'était trois négatifs : un dé, un éléphant, la tour Eiffel, à relier à trois photos : un dé, un éléphant, la tour Eiffel ou 2 négatifs : un arbre, une voiture et 3 photos : un arbre, une voiture, une usine : quelle photo n'a pas de négatif?
La semaine d'après, courrier pour entretien d'embauche, des questions bateau avec un DRH qui après 10 minutes me dit : "je vous embauche et vu votre CV et les résultats de vos tests, j'ai la place qu'il vous faut, vous commencez lundi".
Tu parles si je jubilais.
Le lundi, je me pointe, c'était pas un labo photo mais une usine, qui développait 30 000 pellicules/jour avec des pointes à 45 000 (en 3x8) à l'entrée le négatif dans sa boîte noire, à la sortie les photos dans les pochettes expédiées aux 4 coins du grand nord-ouest ! Ma place, c'était dans une cabine téléphonique: on m'amenait un petit chariot dans lequel il y avait 500 mètres de papier où on avait transféré les négatifs. Je le montais avec un petit ascenseur à ma hauteur, je fermais la porte et... NOIR TOTAL ! Et là, dans le noir, j'ouvrais le chariot, tirais la grosse bobine bien lourde montée sur son axe, la mettais dans une enveloppe étanche à la lumière, ouvrais une trappe "boite à lettres", y glissais l'enveloppe, attrapais une enveloppe avec une grosse bobine bien lourde vierge, la remettais sur son support (putain, il est où l'axe??), fermais le chariot et - enfin - ouvrais la porte, retour à la lumière, cinq petits chariots prêts devant moi, ascenseur, on descend le vierge, on prend un de ceux qui sont prêts ascenseur, on le remonte, on ferme la porte et NOIR TOTAL...
J'y ai passé trois mois. Trois mois à me demander (enfin, les moments où la bobine ne se casse pas la gueule par terre, le film qui se dévide et toi comme un con dans le noir en train d'essayer de bourrer tout ça comme avec tes collègues en train d'hurler et de taper à la porte "mais putain tu fous quoi là-dedans"), trois mois à me demander à quoi pensait le mec en me disant " vu votre CV et les résultats de vos tests, j'ai la place qu'il vous faut"
Un jour, en descendant au sous sol (ou il faisait encore plus chaud, rien n'était isolé et entre le soleil et les machines... Et pour ma pomme, pas question d'aérer dans ma cabine téléphonique) j'ai vu ce que c'était les gars avec moins de diplômes que moi(enfin, je l'ai présumé), un mur gigantesque de boites avec des codes postaux, des chariots plein la gueule de pochettes photos en vrac, avec un code postal dessus et tout ça à mettre en case. Le tout, bien évidemment au rythme effréné de la chaîne qui vomit ses photos : car, monsieur, "le client n'attend pas". Putains de bonnes vacances !

John Doe

lundi 7 janvier 2008