lundi 11 avril 2011

L'expérience manageriale


Plus elle vend de courants d’air, plus l’entreprise broie ses employés. C’est la démonstration à laquelle se livre Tatiana Arfel dans ce roman magnifique et atroce qui aurait pu s’appeler « La 1984ation des esprits »…

Human Tool est une multinationale qui vend du conseil aux entreprises. Autant dire du vent. Mais un vent très cher car très utile à ses clients. Sous formes de pack avec DVD et brochure à l’appuie, le bon petit entrepreneur coté en bourse reçoit une formation qui lui permettra de présurer encore davantage ses employés avec leur consentement. Et Human Tool sait de quoi elle parle : ces produits, elle les teste sur ses propres collaborateurs. Parmi eux, il y en a six qui déconnent sérieusement. Catherine, la DRH trop humaine ; Rodolphe, le cuisinier des cantines trop esthétique ; Francis, le comptable trop précis ; Sonia, la téléopératrice pas assez rapide ; Marc, l’assistant du manager, trop appliqué ; et Laura, l’hôtesse d’accueil incapable de porter des talons aiguille. Ils déconnent, donc on va les envoyer en stage de remotivation. Pour les remettre dans le droit chemin ? Certainement pas. Chez HT, la remotivation permet à l’employé de se virer tout seul en faisant lentement son autocritique.

Désormais, il y a peu de choses qu’on ne sache pas sur le monde de l’entreprise et sa capacité à broyer les être humains qui la font fonctionner. Documentaires, témoignages, autobiographies, romans, chaque semaine, il entre une nouvelle brique dans ce mur qui voudrait se dresser, dénoncer des pratiques qui laissent des morts ou des handicapés à vie derrière elles. Si l’on y regarde de plus près, Emile Zola se livrait à la même chose il y a un siècle et demi, preuve que si les conditions de travail se sont améliorées depuis la mine, elles ont surtout muté vers un pire presque invisible à l’œil nu.

L’expérience que nous fait vivre Tatiana Arfel dans ce deuxième roman commence par le titre. Des clous. Pour l’un de ses personnages, Roman, un coursier roumain qui maîtrise un français haché mais poétique, les employés de Human Tool sont des clous plantés dans cette planche qu’est la multinationale. Pour chaque clou dépassant, il y a un marteau. Tatiana Arfel, à la base psychologue, ne se contente pas de constater les techniques managériales servant à enfoncer à grands coups de concepts iniques le collaborateur dans une adoration forcée du corpus de l’entreprise. Elle se penche sur ces concepts tels qu’ils existent aujourd’hui, se saisit du fil qui dépasse et le tire jusqu’au delà de l’absurde qu’ils représentent déjà.

Le principe de ce stage de remotivation n’a rien à envier à ceux instaurés par Fidel Castro qui envoyait les intellectuels cubains prétendument dissidents castrer la canne à sucre histoire de se remettre les idées en place. Oui, chez HT aussi, on s’applique à faire rentrer dans le rangs des individus qui jusque-là faisaient très bien leur boulot mais d’une manière trop personnelle. Or, dans cette société, le personnel n’existe pas. Comme le serine le comédien employé comme coach pour cette longue session d’abrutissement, chez HT vous n’êtes plus vous-même, vous êtes HT. Autant dire que tout ce que vous êtes, tout ce qui vous constitue est à jeter. Pendant plusieurs mois, les six aventuriers vont vivre une expérience formidable. On va leur demander de tout reconsidérer, de leur odeur corporelle aux mots qu’ils emploient, en passant par les vêtements qu’ils portent, les pensées qu’ils ont, la manière dont leur cerveau fonctionne, etc. Et par dessus le marché, on va leur demander de s’accuser de toutes les fautes qu’ils ont commises au cours de leur carrière pour pouvoir ensuite constituer un dossier de licenciement pour faute grave contre lequel aucun tribunal de Prud’homme ne pourra rien puisqu’il émane des aveux mêmes du fautif. Alors pourquoi cette remotivation ? Toute l’absurdité de ce roman tient dans cette simple question. Le stage est filmé en permanence pour servir de démo au prochain pack de Human Tool.

En plaçant son action en 2006, Tatiana Arfel nous donne le vertige. Les évènements relatés ici seraient donc antécédent à la vague de suicides chez France Télécom si médiatiquement suivie l’année dernière ? Ca signifierait que c’est donc pire aujourd’hui, que si HT avait existé, alors ils auraient gagné. Même en tirant le fil du réel, on sait, on devine que Des clous n’est pas très éloigné de la réalité. Et pendant plus de trois cent pages, on attend que quelque chose explose. Mais si explosion il doit y avoir, on comprend très vite qu’elle ne sera jamais à la hauteur des tortures infligées. Dans un monde où il est admis depuis toujours que le mot travail est synonyme de souffrance, ce roman est plus que nécessaire.

Des clous

Roman français de Tatiana Arfel

José Conti – 2011 – 319 pages

lundi 18 mai 2009

LA PATHETIQUE HISTOIRE DE GOUJONETTE MOUCHE

Comment, lorsque l'on est une femme, concilier le travail et la vie de famille, être une employée dévouée et une épouse remarquable? Et bien parfois, c'est tout simplement impossible...

Le monde du travail est la pire saloperie qui ait jamais existé. J'en veux pour preuve la pathétique histoire arrivée à une collègue. Pour préserver son anonymat, mais aussi la connotation poétique de son patronyme, on l'appelera Goujonnette Mouche dans la suite de l'exposé.
Goujonnette occupe le poste d'ingénieure commerciale dans une SSII réputée. Pour préserver son anonymat, mais aussi la connotation bebette de son objet social, on l'appelera SOPOPERA dans la suite de l'exposé (en fait non utilisé dans la suite du récit mais c’était juste pour le fun).

La particularité de Goujonette, et qui lui avait valu, d’ailleurs, un article en bonne place dans le journal de l’entreprise, était que sa carrière semblait partie sur des roulettes ce qui fait qu’à un moment, son mari arrêta, probablement d’un commun accord, son activité professionnelle pour se consacrer à la gestion des affaires du ménage. Activité communément désignée sous le vocable de Homme au foyer.

Goujonette prospérait dans son entreprise, la reconnaissance de la hierarchie était assurée quand subitement, un soir en rentrant du travail à 23h30 comme tous les soirs, elle constata que le mari avait eu la saugrenue idée (tout du moins pas sur le mode du gagnant-gagnant en vigueur dans le monde de l’entreprise) de mettre le souc dans cet édifice parfait en mettant les voiles avec les drôles sous le bras.

MONDE REEL 1 – MONDE DE L’ENTREPRISE 0

Fort courroucée par cette mésaventure pas très fair-play, il faut bien en convenir, chers actionnaires, Goujonette décida de porter ce différend devant les tribunaux espèrant récupérer sa progéniture qu’elle avait fait vivre, merde ! pendant que son moitié se pavanait devant Des chiffres et des lettres.
Et là, l’incroyable se produisit, la justice donna raison à l’autre oisif, au détriment de Goujonette, son sens du sacrifice, de la loyauté, du devoir.

MONDE REEL 2 – MONDE DE L’ENTREPRISE 0

Que conclure de cette pathétique histoire ?
Les valeurs en vigueur dans l’entreprise seraient-elles contraires aux valeurs communément reconnues (humanisme, générosité, partage, …) ?
La démocratie que l’on donne comme le seul système profitable à l’homme, pourquoi est-elle totalement absente du monde de l’entreprise ?
Pourquoi donc met-on en exergue l’entreprise comme idéal et comme modèle dans les sociétés occidentales alors que c’est justement le lieu de tous les archaismes ?

Comment dirais-je ? fuck …

Terrain Hostile

samedi 18 avril 2009

Comité central de la dépression

Quoi de mieux pour une reprise d'activité un peu molle que de vous orienter vers un collègue?

Francis Mizio est auteur, anciennement employé de ministère, il raconte dans D'un point de vue administratif (Baleine - 2008), l'hystérisante non-aventure de son double fonctionnaire.
Blogger de talents, à la limite du geek tellement il accouche de pages internet, Mizio vient de produire sa dernière trouvaille. Un petit vent de désolation plane sur ce blog, quelque chose auquel il ne nous avait pas habitué. Seulement voilà, il faut bien vivre. Dans son premier post, Mizio raconte ses tentatives pour s'inscrire dans des maisons d'intérim.
Voilà, ça s'appelle Au boulot feignasse! et on espère tous que, malgrés ses talents narratifs, ce journal de crise ne vera pa s'empiler les articles. Ce serait mauvais signe...

Sébastien Gendron

lundi 6 avril 2009

Reprise des activités productives

Après plusieurs mois d'arrêt de production dûs, en grande partie à Blogger himself qui a estimé que Blog Job pouvait s'apparenter à un spamblog et, en petite partie à ma méconnaissance notoire en matière de publication internet, Blog Job repart de plus belle. Et attend toujours vos témoignages.

mardi 27 mai 2008

Le fumeux de Havane

C'est de notoriété publique: les travailleurs sont rien que des feignasses, des combinards et des escrocs en puissance qui feraient grève juste pour obtenir le droit de sieste.
Alors que les patrons, eux...



J'aurais dû me méfier...
Ce patron de PME, fabricant et applicateur de produits chimiques pour le bâtiment, situé en plein milieu des vignes du Beaujolais, me reçoit pour un entretien d'embauche. Tout se passe bien. Au cours de la conversation, il prend un cigare dans une boite sur son bureau, et par réflexe de politesse, m'en offre un.
Fumeur de cigares, j'accepte.
Quelques minutes plus tard, il s'arrange, grâce à une acrobatie sémantique osée, pour me faire savoir le prix exact du cigare qu'il venait de m'offrir. La grande classe ! Là, j'aurais dû me méfier...
L'entretien arrive à son terme et on aborde le sujet du salaire. Il me demande mes prétentions. Cadre, je sais que l'on discute sur la base d'un salaire annuel brut. Je lui indique ce que je souhaite. Il ne discute pas et accepte immédiatement.
Chouette !
Je commence le mois suivant. Fin du premier mois, premier bulletin de salaire. Surprise, le salaire brut ne correspond pas au 12ème du salaire brut annuel sur lequel je suis bien certain que nous nous sommes mis d'accord. En gros, je touche la moitié de ce que j'attendais. Erreur de la comptabilité ? Mauvaise compréhension ? Un peu ennuyé, je vais voir ce charmant garçon et lui montre ma feuille de paie en lui rappelant nos accords. Et la réponse me cloue au mur. Avec un grand sourire, il m'explique :
"Oui, nous sommes d'accord sur un salaire annuel. Je vous donnerai le salaire mentionné sur votre feuille de paie tous les mois, et je régulariserai avec la différence le douzième mois" Fortiche, non ?
Inutile de dire que sa petite combine n'a pas fonctionné. J'ai exigé et obtenu un recalcul immédiat de mon salaire mensuel.
Plusieurs mois plus tard, je découvrais le vrai visage de ce triste sire. Il escroquait sa famille, son personnel, ses clients et ses fournisseurs. L'expérience dura moins d'un an, mais je garde un souvenir ému de cette superbe tentative d'arnaque d'un tout nouveau collaborateur.
Bravo l'artiste !

Gérard

mercredi 19 mars 2008

USINAGE 2 - PETITE REVUE DE PRESSE

A ceux qui se seraient imaginés que chez Blog Job on recyclait des témoignages datant de Zola, voici une bien triste suite à "Usinage".


On croit rêver, on ne rêve plus déjà et depuis longtemps. Le mépris des classes dirigeantes pour les travailleurs n'a pas pris une ride. La modernité, la démocratie, le politiquement correct, et j'en passe, recouvre à peine de leurs lambeaux d'hypocrisie la vérité vécue sur les lieux de travail. Si on relie des extraits de "Usinage" et des conditions de travail à l'usine Caravelair-Trigano de Tournon en 1975, on croit se plonger dans un passé lointain décrivant vaguement des conditions de travail qui n'existent plus. Parmi celle-ci un extrait :

« Moins spectaculaire, sur la chaîne, les peintres font des retouches sur les tôles quand celle-ci ont pris un coup de visseuse ou autre. Il n’y a pas de cabine de peinture, ils ne portent pas de masque, les vapeurs nous incommodent, mais personne ne se plaint, difficile de défendre les gens malgré eux. Au bout de six mois, leurs formules sanguines inversées montrent le degré d’intoxication! " et aujourd'hui plus de TRENTE ANS APRÈS, dans la même usine:

"Pour ne pas avoir protégé son personnel qui utilisait des produits nocifs sur les chaînes de montage du site de Tournon sur Rhône , Ardèche, la société Trigano, spécialisée dans la fabrication des camping-cars et de véhicules de loisirs, a été condamné à 30 000€ d'amende. Le directeur du site , a quant à lui écopé de trois mois de prison avec sursis et devra verser 1000€ d'amende pour chaque ouvrier exposé. » - in Aujourd’hui en France le 17 mars 2008

"Jean-Bernard Boulet, le directeur général de la société Trigano, qui fabrique des caravanes, a été condamné, jeudi 13 mars, par le tribunal correctionnel de Privas à trois mois de prison avec sursis, et son entreprise à 30 000 euros d'amende, pour " blessures involontaires" à la suite d'infractions aux règles de santé et de sécurité. M.Boulet devra aussi verser 1000 euros aux trois salariés , indisposés par des solvants . -- ( AFP) " in Le Monde du 15 mars 2008

C'est peut-être ça alors le progrès, la rapidité de la justice et la prise de conscience !

Patrick Aujard
ancien ouvrier à Caravelair-Trigano,
Tournon Ardèche


vendredi 11 janvier 2008

Carte postale

A ceux qui regrettent encore le bon vieux temps des pellicules photos, nous dédions cette expérience...


J'étais étudiant en sciences économiques et cherchais du boulot d'été à l'ANPE. Je postule pour une annonce pour bosser dans un labo de photo, pas d'expérience exigée.
Je reçois une convocation pour des tests, que je termine le premier (j'étais angoissé d'avoir fini si vite !) mais bon, les tests, c'était trois négatifs : un dé, un éléphant, la tour Eiffel, à relier à trois photos : un dé, un éléphant, la tour Eiffel ou 2 négatifs : un arbre, une voiture et 3 photos : un arbre, une voiture, une usine : quelle photo n'a pas de négatif?
La semaine d'après, courrier pour entretien d'embauche, des questions bateau avec un DRH qui après 10 minutes me dit : "je vous embauche et vu votre CV et les résultats de vos tests, j'ai la place qu'il vous faut, vous commencez lundi".
Tu parles si je jubilais.
Le lundi, je me pointe, c'était pas un labo photo mais une usine, qui développait 30 000 pellicules/jour avec des pointes à 45 000 (en 3x8) à l'entrée le négatif dans sa boîte noire, à la sortie les photos dans les pochettes expédiées aux 4 coins du grand nord-ouest ! Ma place, c'était dans une cabine téléphonique: on m'amenait un petit chariot dans lequel il y avait 500 mètres de papier où on avait transféré les négatifs. Je le montais avec un petit ascenseur à ma hauteur, je fermais la porte et... NOIR TOTAL ! Et là, dans le noir, j'ouvrais le chariot, tirais la grosse bobine bien lourde montée sur son axe, la mettais dans une enveloppe étanche à la lumière, ouvrais une trappe "boite à lettres", y glissais l'enveloppe, attrapais une enveloppe avec une grosse bobine bien lourde vierge, la remettais sur son support (putain, il est où l'axe??), fermais le chariot et - enfin - ouvrais la porte, retour à la lumière, cinq petits chariots prêts devant moi, ascenseur, on descend le vierge, on prend un de ceux qui sont prêts ascenseur, on le remonte, on ferme la porte et NOIR TOTAL...
J'y ai passé trois mois. Trois mois à me demander (enfin, les moments où la bobine ne se casse pas la gueule par terre, le film qui se dévide et toi comme un con dans le noir en train d'essayer de bourrer tout ça comme avec tes collègues en train d'hurler et de taper à la porte "mais putain tu fous quoi là-dedans"), trois mois à me demander à quoi pensait le mec en me disant " vu votre CV et les résultats de vos tests, j'ai la place qu'il vous faut"
Un jour, en descendant au sous sol (ou il faisait encore plus chaud, rien n'était isolé et entre le soleil et les machines... Et pour ma pomme, pas question d'aérer dans ma cabine téléphonique) j'ai vu ce que c'était les gars avec moins de diplômes que moi(enfin, je l'ai présumé), un mur gigantesque de boites avec des codes postaux, des chariots plein la gueule de pochettes photos en vrac, avec un code postal dessus et tout ça à mettre en case. Le tout, bien évidemment au rythme effréné de la chaîne qui vomit ses photos : car, monsieur, "le client n'attend pas". Putains de bonnes vacances !

John Doe

lundi 7 janvier 2008

samedi 22 décembre 2007

Joyeux Noël

Il n'y avait aucune raison objective de ne pas y penser...


La rédaction de Blog Job se joint en un seul et immense chœur pour entonner le chant des meilleurs vœux à l’adresse toute particulière des :
- Emballeurs de cadeaux,
- Caissières de magasins,
- Père Noël de coin de rue,
- Vendeurs de sapins,
- Ouvreurs d’huîtres,
- Employés de traiteurs,
- Livreurs de champagne,
- Serveurs et Plongeurs de restaurants,
- Distributeurs de prospectus,
- Balayeurs de rues,
- Laveurs de vitrines,
- Etc… (s’il vous en vient d’autres, n’hésitez pas à laisser un commentaire, on comblera la liste)

Et nous en profitons pour vous renvoyer à cet article paru sur Rue89 (ici) qui met en garde les bloggeurs qui voudraient jouer les justiciers en dénonçant leur conditions de travail sur un blog créé à cet effet. Rassurons-nous, sur Blog Job, le couple Jane & John Doe est un bon pseudonyme centralisateur sous lequel vous pourrez toujours signer vos témoignages, Google dans la boucle ou pas.
Allez, bien à vous.

Sébastien Gendron

vendredi 21 décembre 2007

Usinage

Pour mesurer l'avancé à reculons des conditions de travail en usine, il est bon, parfois de regarder dans le retroviseur et de voir comment ça se passait avant...


Tournon, Ardèche 1974, c’est un peu vieux déjà. Assistant Monteur de film à la télé et militant « maoïste » je décide d’aller à l’usine par conviction politique.
Caravelair fabrique des caravanes et vient de quitter Nantes après avoir licencié plusieurs centaines d’ouvriers là-bas pour s’installer ici. L’Ardèche semble être un Eldorado pour la société qui profite des aides à la création d’emploi offerte par le gouvernement Giscard et espère profiter d’un climat moins « lutte des classes ».
Elle recrute intelligemment son personnel. Une partie sur place, qui deviendra vite la petite aristocratie ouvrière de l’usine en les promouvant chefs de ligne, régleurs, magasiniers, une autre partie qui provient du plateau ardéchois, paysans, fils de paysans qui viennent assurer un salaire complémentaire en sus des petits revenus de la ferme, (de sacrés travailleurs qui ne rechignent pas à l’effort) et enfin des ouvriers venant de Valence distante d’une trentaine de kilomètres, principalement issus de l’immigration. Un bon cocktail aux mentalités différentes que j’espérai transformer plutôt en cocktail molotov…, fer de lance de la révolution prolétarienne.
C’est l’année de la sécheresse, la campagne est toute jaune, parfois elle prend feu au passage du Mastrou le train touristique à vapeur qui remonte la vallée de l’Eyrieux, mais bref l’heure n’est pas à l’humeur vagabonde même si je débarque de Paris. Il fait terriblement chaud sous les verrières de plastique qui fournissent la lumière dans l’atelier.
C’est comme si le soleil s’invitait pour nous narguer alors que nous suons dans ce petit enfer. La chaîne de fabrication c’est des gestes répétitifs, et ça ne s’arrête pratiquement jamais, les temps sont calculés au plus juste, si tu ne reposes pas ton marteau au bon endroit les quelques secondes qu’il te faut pour le retrouver suffisent pour te mettre en retard et tu dois accélérer comme un malade pour rattraper. Ta tête se vide et s’obsède sur cette course sans répit. Tu observes tes compagnons du poste de travail suivant ou du poste précédant et tu te mets parfois à penser que là, le travail y est peut-être plus facile. Si tu râles, on te met à un poste plus dur comme ça peut-être tu comprendras qu’il n’y a rien à dire.
Les régleurs, ceux qui contrôlent ton travail et signalent les malfaçons deviennent vite dans ta tête des emmerdeurs, des bras cassés qui ne se salissent pas les mains. Tous ceux qui ne sont pas assujettis à la chaîne, au temps oppressant, te semblent être privilégiés : chefs, caristes qui t’approvisionnent en pièces, magasiniers, entretien, tous les autres employés sans parler de ceux des bureaux. Il y a les ouvriers de la chaîne et les autres. Il ne faut pas croire pour autant que cette communauté de la souffrance soit unie et solidaire.
Il y a ceux qui endurent, ceux qui se révoltent, ceux qui sont fiers, et les fayots. L’équilibre est souvent bien dosé.
Un jour alors que mes activités en vue de la création d’une section syndicale avaient pour réponse quelques tracasseries ordinaires de la part du chef d’atelier, celui-ci décide de me changer de chaîne. Me voilà débarqué au poste châssis de la chaîne d’à côté. Là ce sont des gaillards, trois paysans du plateau bien costauds qui n’aiment pas trop l’agitation des « rouges ».
D’habitude pour mettre le châssis sur les tréteaux où on lui fixera l’essieu, puis le plancher après l’avoir retourné, on utilise un palan. Mais aujourd’hui, les trois gaillards ont décidé de faire ça à la main sûrement pour m’éprouver et pour montrer qu’ici on n’est des hommes, avec des biceps, et qu’on n’a pas peur du travail.
Et nous voilà toute la journée à soulever des châssis, à soulever des planchers. Les bras griffés par le bois, les muscles épuisés il ne faut rien dire et montrer qu’on est à la hauteur. Le lendemain mes compagnons reprennent l’usage du palan et m’acceptent parmi eux.
Ici on accepte les conditions de travail sans ronchonner. Pas de cantine le midi, c’est pique-nique au bord de la rivière ou dans la salle sans lumière où l’on vient engloutir la gamelle que la femme ou la mère a préparée, même pas de chauffe-plat. Pas de car pour venir de Valence, de Lamastre ou de Saint Félicien alors on s’arrange à plusieurs pour aller à l’usine, partager l’essence, mais c’est aussi l’occasion de galères: maladie, absentéisme de l’un ou l’autre, retard… et c’est des jours qui sautent, des absences injustifiées, le salaire diminué. Pas de vêtements de travail non plus, au châssis, on se salit avec la graisse des boulons, le blackson dont on enduit les planchers, la colle pour fixer les revêtements de sol. En fin de journée, on se nettoie les mains et les bras au trichloréthylène. Au bout de quelques jours c’est les cloques des brûlures qui apparaissent. Le bidon c’est un gros fût de 60 ou 80 litres qu’il faut pencher pour verser. Un midi en replaçant le fût un peu brutalement une giclé sort et m’asperge les yeux. Je suis aveugle, le chef vient me chercher et m’emmène à l’infirmerie, je reste aveugle plusieurs heures. Les accidents ne manquent pas. Je vois passer un gars qui se tient la main, derrière lui des traces de sang: doigt coupé, un ancien à côté de moi frappe les numéros de châssis avec une massette et s’explose les doigts, un autre qui nettoie avec une éponge une machine à contre plaqué dont les cylindres continuent de tourner se fait broyer le bras.
Moins spectaculaire, sur la chaîne, les peintres font des retouches sur les tôles quand celle-ci ont pris un coup de visseuse ou autre. Il n’y a pas de cabine de peinture, ils ne portent pas de masque, les vapeurs nous incommodent, mais personne ne se plaint, difficile de défendre les gens malgré eux. Au bout de six mois, leurs formules sanguines inversées montrent le degré d’intoxication!
Le temps est ainsi compté, la fatigue s’accumule au fil des années, la non-vie s’installe dans une répétition sans fin qui s’interrompt le temps des week-end et des vacances. L’espoir en des jours meilleurs diminue, un jour lointain peut être si l’on atteint la retraite…
Ici, l’on est rien, on nous fait bien sentir qu’on est au bas de l’échelle, pas de problème, on est gardé, encadré, méprisé, sanctionné et on fait avec.
Un jour peut-être je vous raconterais la suite : les jours de résistance et de grève.

Patrick Aujard

mercredi 19 décembre 2007

Blog Job sur France Inter

On se la pête comme on peut mais surtout avec ce qu'on a. A 6:20 ce 19 décembre 2007, les cinq minutes de l'émission d'Alexandre Boussageon et Kheira Retiel "Blog à part", sur France Inter, étaient consacrées à Blog Job.


lundi 17 décembre 2007

Erotocrade

Que ceux qui n'ont jamais regardé à minuit un film érotique à deux balles me jettent la première pierre: moi, j'en ai tourné un. Et c'est sûrement moins agréable à faire qu'à regarder...


Encore des histoires du monde du spectacle ! Bon, d’accord. Août 2001, je suis toujours premier assistant mise en scène et si vous avez lu de fond en comble ce blog, vous connaissez le plupart des attributions de mon métier (sinon, vous trouverez les renseignements ad hoc ici). En cette période estivale, c’est un peu la pénurie de boulot alors j’accepte d’assister un jeune réalisateur sur deux téléfilms pour la collection des séries roses d’une chaîne hertzienne. On appelle ce genre de produits des « érotic soft ». L’érotic soft est à peu près l’inverse total du porno hard, en tout cas dans sa terminologie : pas de poils, pas de membres, pas de trous. Pour le reste… Je rencontre donc la productrice – qui, en dehors de cette activité annexe, alimente d’autres chaînes en produits plus classiques, mais il paraît que le septuagénaire provincial est très friand de ces gaudrioles cathodiques nocturnes – reçois en échange les deux scénario que nous devons tourner et une formation accélérée du savoir-faire maison. A savoir : 90 minutes se tournent en… huit jours et j’ai huit jours pour préparer.
Elevé chez les jésuites, le réalisateur, qui a mon age, est un peu effrayé par la teneur des scripts et l’horizon qui se profile devant lui. Je tente de le rassurer, on est bien d’accord qu’il ne joue pas sa carrière sur ces deux films, on fait de l’alimentaire et puis, à vue de nez, c’est pas la mer à boire. A mon retour chez moi, je lis les scénario qui me tombent l’un après l’autre des mains et je commence à douter du résonnement que j’ai tenu quelques heures plus tôt. Le casting commence sous ses bons auspices. Visiblement, l’érotic soft attire trois types de comédiens : le comédien en fin de droits qui cherche désespérément le cachet et n’en est plus à tergiverser ; la fille qui fait des photos de cul pour internet ; la hardeuse à succès qui vient là parce qu’elle gagnera plus que sur un Dorcel du samedi. Nos trois premiers rôles sont bookés en une journée. Coté plan de travail, c’est déjà plus coton. J’ai beau faire de la daube, je n’en reste pas moins consciencieux, j’ai beau retourner ça dans tous les sens, ça ne rentre pas en huit jours mais en dix et encore sous speed. Je reviens vers la productrice pour lui exposer le problème. Réponse :
- Je crois qu’on s’est pas bien compris. C’est pas dix jours, c’est même pas neuf, c’est huit !
- Moi je veux bien, mais on a cinq scènes de plumard à faire, ça veut dire maquillage entier du corps, lumière…
- Je t’arrête tout de suite. T’as deux caméras pour les scènes de cul. Une scène de cul, c’est vingt minutes de tournage. Une scène normale, c’est grand max, dix minutes. Point. »
Me voilà prévenu ou conditionné, c’est comme on veut. Mais à la fin de la journée, mon plan de travail ressemble à la commande passée. Et on peut commencer le tournage. Je passe sur les épisodes croquignolets et puis il n’y en a pas tant que ça. A part peut-être ce petit matin, rue de la Gaîté, où on fait le pied de grue devant un sex-shop dans lequel on doit tourner, en attendant que le gérant sorte de son lit. Le type arrive, le café à peine digéré, il nous ouvre le rideau de fer de sa boutique et tout d’un coup, il aperçoit la grande pintade blonde qui nous accompagne (notre héroïne hardeuse). Les yeux lui jaillissent du crâne : c’est un fan de la première heure. Imaginez-vous ouvrant votre porte à votre star préférée. « Putain, j’ai tous vos DVD ! ».Tu m’étonnes, elle est même en tête de gondole sur tout un rayon du magasin. Ça encore, ça nous fait rire. La suite est moins glamour. On passe trois jours dans une pépinière d’entreprise désaffectée à Colombe, à filmer les ébats de notre trio. Une après-midi entière à enchaîner les postures dénudées dans une reproduction en fourrure synthétique d’un peep-show au kitch délétère. J’ai quasiment pas bouger de derrière le moniteur vidéo et je rentre chez moi avec un splendide staphylocoque au genou. La grande classe.
Mais c’est le dernier jour de tournage qui marque les esprits. Nous sommes dans un appartement du quartier de la Bastille. En milieu d’après-midi, nous passons dans la chambre pour les vingt minutes réglementaires d’un accouplement en bord de lit. La hardeuse est repartie vers d’autres aventures au bras de son mec, un cador miniature en survêt’ qui ne quitte jamais son yorkshire calé au creux du coude. Ca tombe bien, c’est aussi la fin de l’histoire, celle où la fiancée trompée par l’amoureux volage a eu sa revanche en couchant avec la maîtresse de celui-ci. Tout est pardonné, les choses sont rentrées dans l’ordre, on se remet en selle avec un petit câlin missionnaire. Les caméras se croisent autour du couple emmêlé (le cachetonneur et la fille-qui-fait-des-photos-pour-internet), le réalisateur cache son intarissable malaise derrière ses moniteurs, là-bas dans la cuisine et dirige la scène à distance avec un micro. Les vingt minutes s’écoulent, aussi interminable qu’un orgasme feint. Il nous reste encore trois séquences à tourner. Derrière, une semaine de break, puis une nouvelle semaine de préparation avant d’enchaîner le second film. L’équipe est plutôt décontractée – à l’instar du comédien cachetonneur, peu d’entre nous se sont déjà livré à un tel exercice. Heureusement, il ne nous reste plus que des scènes de bla-bla inconsistant à mettre en boîte, je renvoie tout le monde au costume, à la pause clope et aux bascules de lumières. Au milieu de l’agitation, je croise la fille-qui-fait-des-photos-pour-internet; dans son peignoir de bain, elle ère dans le couloir. Je la presse de remonter dans sa loge quand je remarque la blancheur de son visage et les cernes sous ses yeux. Je n’ai pas le temps de lui demander si elle a un problème, elle me tombe dans les bras, inerte. On appelle les pompiers, les pompiers l’embarquent, la directrice de production montent avec eux et on se retrouve comme des cons à attendre, en bricolant les dernières scènes comme on peut.
Deux heures plus tard, la directrice de production revient de l’hôpital, un peu pâle elle aussi. On la presse de questions, elle s’assoit et nous lâche que la fille-qui-fait-des-photos-pour-internet a fait une fosse couche, là, sur le plateau…
Comme tout les tournages, celui-ci aurait dû s’achever par une fête de fin de film. A la place de quoi j’ai signifié à qui de droit que je partais en vacances et qu’on pouvait m’oublier.

Sébastien Gendron


mercredi 12 décembre 2007

"Quand je voulais devenir homme d'affaires" entretien avec l'écrivain Iain Levison

Iain Levison est l'auteur de "Tribulations d'un précaire", récit de dix ans de galères entre une quarantantaine de job bien pourris et l'envie d'écrire. C'est ce bouquin qui a inspiré la création de BlogJob. Retour avec l'intéressé sur une carrière américaine...


Iain Levison bonjour. D’abord merci de vous prêter à cette interview intercontinentale. Votre biographie indique que vous êtes né en 1963 en Ecosse, que vous avez quitté la Grande Bretagne pour les Etats Unis en 1971, puis que vous êtes rentré au pays pour intégrer l’armée avant de repartir finalement aux USA où, pendant 10 ans, vous avez vécu de petits boulots tous plus ou moins pourris si l’on en croit le récit que vous nous en livrez dans « Tribulations d’un précaire », votre dernier roman. Expliquez nous un peu ce parcours qui semble être une fuite vers le moins pire.

Quand je suis retourné aux Etats Unis, j’ai démarré une petite entreprise de transport à Philadelphie. A ce moment de ma vie, je voulais devenir homme d’affaires. Des entreprises plus importantes m’ont poursuivi en justice afin d’assurer que je n’obtienne pas le permis pour mon camion. J’aurai pu finir par l’obtenir, mais ça m’aurait couté des milliers de dollars en frais juridiques. Pendant un temps je conduisais illégalement et sans permis, mais finalement je me suis fais attrapé et j’ai été obligé de payer plusieurs milliers en amendes. Donc, au fond je suis un capitaliste. Je faisais confiance au système, mais j’ai appris que le système a été ajusté pour favoriser les gens qui sont déjà des gagnants. C’est comme si, en regardant un match de foot, une équipe commence à gagner, on annonce en plein milieu du match que les règles ont changé. L’équipe qui est en train de gagner a le droit de faire rentrer plus de joueurs sur le terrain! C’est ça le fonctionnement du système économique américain.

Même s’il n’arrive en France qu’aujourd’hui, « Tribulations » est votre premier roman. Vous l’écrivez en 2002. A certains endroits de votre récit, vous évoquez votre rêve de devenir écrivain. Qu’est-il arrivé entre vos tribulations et le moment où vous prenez la plume ?

Je travaillais toujours quand j’écrivais. Mon objectif original était d’écrire un roman, mais je me suis rendu compte que je n’avais jamais assez de temps pour écrire, car j’étais en permanence en train de passer d’un boulot merdique et crevant à un autre, en essayant de payer les factures, afin d’avoir un chez moi pour écrire. Finalement je me suis dit, « Pourquoi ne pas écrire sur le fait que je suis obligé de bosser tout le temps et que je n’ai pas le temps d’écrire? » Et je me suis rendu compte que je n’étais pas seul, qu’on était des millions à travailler juste pour survivre, pour vivre. Qu’on donnait tant de nous-mêmes pour survivre afin de pouvoir bosser encore plus, cette prise de conscience est devenu « Tribulations ».

Ce récit qui vous met en scène dans plusieurs dizaines de boulots tous plus insanes les uns que les autres, petit pion dans l’économie de la première puissance du monde, vous inclus dans cette grande vague de protestation contre le système américain et ses laissés pour compte qui est arrivé en Europe au début des années 2000. Malgré tout, Ecossais de naissance, vous vivez toujours là-bas. Comment on explique une telle dichotomie ?

Après avoir quitté l’Armée Britannique en 1984, je vivais à Glasgow. A l’époque, Glasgow avait le taux de chômage le plus élevé de l’Europe. C’était l’enfer. Je faisais la queue pendant des heures pour avoir n’importe quel boulot ; Electricien, agent de surface… n’importe. Je n’arrivais jamais à décrocher ces postes car on était 300 sur le coup. Et puis, j’ai reçu une lettre d’un ami aux US qui me suggérait de revenir aux Etats Unis pour ouvrir une entreprise de transport avec lui. L’expérience d’être au chômage au R-U m’a décidé à ne jamais y retourner, malgré le fait que je sais qu’aujourd’hui les choses se sont beaucoup améliorées. N’importe quoi est mieux que d’être au chômage. C’est l’enfer. Les boulots que je décris dans « Tribulations » sont peut-être atroces, mais tous sont mieux que d’être sans emploi.

N’y a-t-il rien de comparable à raconter sur notre vieille Europe alors que nous aussi nous basculons lentement mais sûrement vers un système de plus en plus libérale qui prend exemple sur le modèle américain, même si celui-ci est déclinant ?

Il y a tellement d’auteurs talentueux qui connaissent l’Ecosse mieux que moi. Je n’y ai pas été depuis 20 ans. Je connais l’Amérique. Pour être franc, l’Ecosse c’est le passé. Par contre ils ont un super système de santé, et je suis encore un citoyen du Royaume Uni, donc si je tombe malade je saute dans le premier avion pour Glasgow. Ça pourrait peut-être faire un livre.

« Un petit boulot », votre second roman, premier paru en France, arrive donc tout de suite après « Tribulations ». Etait-ce une manière de pousser encore plus loin l’idée que pour survivre en Amérique, on peut tout accepter, même allez jusqu’à devenir tueur à gage juste pour garder l’estime de soi ? Est-ce que Iain Levison a rencontré, d’une manière ou d’une autre Jake Skowran et Ken Gardocki ?

Je l’aurais aimé… malheureusement, la plupart des gens que j’ai rencontré dans ces circonstances étaient beaucoup plus déprimés et abattus que mes personnages. Le fait d’avoir été renvoyé de leurs boulots a épuisé leurs résistances. Ils n’avaient plus de dignité. On ne se rend pas compte de la fragilité de notre infrastructure tout en entière jusqu’au moment où on perd tout. La façon de se sentir est liée à l’état de la communauté dans laquelle on vit, beaucoup plus qu’on le croit. Quand votre communauté se fait anéantir pour qu’une entreprise puisse gagner de l’argent, les gens sont blessés de façon psychologique autant que financier.Donc, les personnages sont plutôt des constructions de héros que je n’ai pas encore rencontrés.

En France, l’accueil de vos romans depuis « Un petit boulot » est toujours enthousiaste. On voit une continuité du travail d’un Michael Moore, la plume en plus. Comment ça se passe aux USA ? Quelles ont été les rencontres que vous avez pu faire au cours de vos tournées promotionnelles ?

J’adore l’œuvre de Michael Moore… il est un des seuls américains qui commence à parler des « éléphants dans le salon » (une expression pour dire les choses dont on devrait parler mais qu’on ne fait jamais). Moore parle du système de santé, des inégalités financières du marché libre, des abus de pouvoirs, du control des armes. Les medias grand public ne veulent pas toucher ce genre de sujet… ils préfèrent focaliser sur Al Qaida et Britney Spears; les sujets qui provoquent des réactions rapides et viscérales. Michael Moore et moi-même sont tous les deux des personnes de métier qui sont intervenus après avoir été abusé, mais c’est là où s’arrête la ressemblance ; Je suis un romancier et lui est cinéaste, et les médias attirent des types de personnalités différents. Il a aussi bénéficié du fait que les Etats Unis ont le gouvernement le plus débile de leur histoire. Bush est si abominable, et est en train de détruire ce pays d’une façon tellement rapide, qu’il représente une vraie opportunité d’affaires pour les réalisateurs tel que Moore, et pour des journalistes d’investigation. Les romans n’attirent pas le même marché. C’est plus subtile, plus lent. Mais je m’amuse quand-même.

Quels sont vos projets?

J’adore le livre sur lequel je travaille en ce moment. C’est dans la lignée d’ « Une canaille et demie », avec beaucoup plus de personnages. L’histoire se déroule dans une ville fictive près de la frontière canadienne, où la police locale commence à tuer les criminels plutôt que de les envoyer en justice. La fin est surprenante aussi.

Merci Iain Levison pour cet instant passé, à distance, en votre compagnie.

Merci… c’était un plaisir de discuter avec vous.

Propos recueillis par Sébastien Gendron pour L'ours Polar
Traduction de Alison Taylor-Granié
Les romans de Iain Levison sont publiés chez Liana Levi
Mais vous pouvez vous les procurer aussi ici

Debout!

Les jolies colonies de vacances, le plaisir du grand air et la solidarité entre collègues, le bonheur estival quoi !


Tous mes étés d'étudiants, je les ai passé à faire soit des colos, soit des centres de loisirs... Cet été-là, j'avais décidé de faire les deux. Et après deux centres de vacances bien éreintants, je reviens sur Paris pour bosser en centre de loisirs du coté du 18ème. Manque de bol, je tombe malade le 2ème jour, avec une fièvre de cheval. J'appelle le dirlo, qui me dit "Allez, on est en sous effectif, bourre toi de médocs et viens nous rejoindre !" Pensant à la paye que je n'aurais pas si je reste chez moi, je suis son conseil. Transpirant, fatigué, à moitié dans les vapes, je tente de faire mon boulot tant bien que mal. La matinée se passe, et on m'annonce que l'après midi, on part en sortie en forêt. Au total, 3 animateurs pour une quarantaine d'enfants. On arrive tôt, et mes deux collègues enchaînent pause clope sur pause clope, et pas 5 minutes, et surtout très loin de nous... Du coup, au bout d'un moment, je me dis : merde, je fume pas, mais je bosse plus qu'eux, et je suis à 40 de fièvre... Je vais voir ma collègue et lui dis : « Ecoute, je peux pas prendre de pause clope, je sens plus ma tête, je m'allonge là, ici, juste à droite 5 minutes, histoire de décompresser... ». Ce à quoi elle me répond ok. 30 secs que je suis allongé et le big boss de la mairie de Paris qui passe par là, me voit, fonce sur ma collègue et lui dit: « C'est un de vos collègues ? » Elle, très courageuse, ne cille pas, n'essaye pas de convaincre et répond "Oui". Le molosse me fonce dessus et me dis "Relève toi, tu es animateur, oui ? et bien, la prochaine fois que je repasse et que je te vois allongé, je te vire !". Je tente un faible "Mais..." qui se meurt dans un bruit de gorge un peu rauque, et me remets au boulot, pendant que mes collègues repartent en pause clope, sans que le ponte de la mairie de cille.
Moralité : le lendemain, j'ai fait un arrêt maladie pour le reste de la semaine, et j'y ai plus jamais mis les pieds.

Sébastien Michel

mardi 11 décembre 2007

Changez pour du pire

On ne le répétera jamais assez: si vous voulez à tout prix rejoindre la communauté des boulots péraves, engagez-vous dans la restauration. Ou bien attendez que la restauration vienne à vous...

Étudiant, je bossais à l'hôpital pour payer mes études (et draguer les infirmières), en général, le week-end.
Un jeudi, la DRH (ça ne s’appelait pas encore comme ça) me dit “Ce week end, vous travaillerez aux cuisines, ça vous changera ! “. Pour sûr, t’as l’air d’un con habillé en cuisinier et question drague, tu peux te la mettre sur l’oreille. Les cuistots ne bossaient que le samedi de 7 à 15 h et moi – qui faisait la plonge – de 7 à 12 et de 17 à 20. Arrivé à 7 h, c’était assez calme, mais les gars me prévinrent que ça serait chaud car ils faisaient la bouffe pour tout le week-end, et ça n’a pas manqué, dès 8 h, le speed, des gamelles inlevables tellement elles sont lourdes, dans des états pitoyables, des éviers que même le bras dedans, tu ne touches pas le fond, bref l’horreur. Je trime comme un fou et quand je me barre à 12h, les cuistots rigolent comme des tordus “Tu pourras pas rentrer dans ta cuisine lorsque tu reviendras... »
Je pensais que c’était exagéré... Mais comme je savais que je serai seul et que je ne les reverrai pas (vu qu’ils ne travaillaient pas le lendemain) je craignais quand même.
Je reviens à 17 heures (mes potes restant au chaud au bistrot, eux) et là, impossible d’accéder jusqu’aux éviers, les ordures – profitant de mon absence - ont empilé les gamelles n’importe comment ! J’ai mis une heure à tout virer rien que pour accéder aux éviers où l’eau était froide et croupissante... Je hurlais là dedans, traitant tout le monde de tous les noms... J’ai fini avec une bonne heure et demie, pas payé plus et dès le lundi, j’ai dit à la DRH “Plus jamais les cuisines, j’ai horreur du changement!"

John Doe