samedi 22 décembre 2007

Joyeux Noël

Il n'y avait aucune raison objective de ne pas y penser...


La rédaction de Blog Job se joint en un seul et immense chœur pour entonner le chant des meilleurs vœux à l’adresse toute particulière des :
- Emballeurs de cadeaux,
- Caissières de magasins,
- Père Noël de coin de rue,
- Vendeurs de sapins,
- Ouvreurs d’huîtres,
- Employés de traiteurs,
- Livreurs de champagne,
- Serveurs et Plongeurs de restaurants,
- Distributeurs de prospectus,
- Balayeurs de rues,
- Laveurs de vitrines,
- Etc… (s’il vous en vient d’autres, n’hésitez pas à laisser un commentaire, on comblera la liste)

Et nous en profitons pour vous renvoyer à cet article paru sur Rue89 (ici) qui met en garde les bloggeurs qui voudraient jouer les justiciers en dénonçant leur conditions de travail sur un blog créé à cet effet. Rassurons-nous, sur Blog Job, le couple Jane & John Doe est un bon pseudonyme centralisateur sous lequel vous pourrez toujours signer vos témoignages, Google dans la boucle ou pas.
Allez, bien à vous.

Sébastien Gendron

vendredi 21 décembre 2007

Usinage

Pour mesurer l'avancé à reculons des conditions de travail en usine, il est bon, parfois de regarder dans le retroviseur et de voir comment ça se passait avant...


Tournon, Ardèche 1974, c’est un peu vieux déjà. Assistant Monteur de film à la télé et militant « maoïste » je décide d’aller à l’usine par conviction politique.
Caravelair fabrique des caravanes et vient de quitter Nantes après avoir licencié plusieurs centaines d’ouvriers là-bas pour s’installer ici. L’Ardèche semble être un Eldorado pour la société qui profite des aides à la création d’emploi offerte par le gouvernement Giscard et espère profiter d’un climat moins « lutte des classes ».
Elle recrute intelligemment son personnel. Une partie sur place, qui deviendra vite la petite aristocratie ouvrière de l’usine en les promouvant chefs de ligne, régleurs, magasiniers, une autre partie qui provient du plateau ardéchois, paysans, fils de paysans qui viennent assurer un salaire complémentaire en sus des petits revenus de la ferme, (de sacrés travailleurs qui ne rechignent pas à l’effort) et enfin des ouvriers venant de Valence distante d’une trentaine de kilomètres, principalement issus de l’immigration. Un bon cocktail aux mentalités différentes que j’espérai transformer plutôt en cocktail molotov…, fer de lance de la révolution prolétarienne.
C’est l’année de la sécheresse, la campagne est toute jaune, parfois elle prend feu au passage du Mastrou le train touristique à vapeur qui remonte la vallée de l’Eyrieux, mais bref l’heure n’est pas à l’humeur vagabonde même si je débarque de Paris. Il fait terriblement chaud sous les verrières de plastique qui fournissent la lumière dans l’atelier.
C’est comme si le soleil s’invitait pour nous narguer alors que nous suons dans ce petit enfer. La chaîne de fabrication c’est des gestes répétitifs, et ça ne s’arrête pratiquement jamais, les temps sont calculés au plus juste, si tu ne reposes pas ton marteau au bon endroit les quelques secondes qu’il te faut pour le retrouver suffisent pour te mettre en retard et tu dois accélérer comme un malade pour rattraper. Ta tête se vide et s’obsède sur cette course sans répit. Tu observes tes compagnons du poste de travail suivant ou du poste précédant et tu te mets parfois à penser que là, le travail y est peut-être plus facile. Si tu râles, on te met à un poste plus dur comme ça peut-être tu comprendras qu’il n’y a rien à dire.
Les régleurs, ceux qui contrôlent ton travail et signalent les malfaçons deviennent vite dans ta tête des emmerdeurs, des bras cassés qui ne se salissent pas les mains. Tous ceux qui ne sont pas assujettis à la chaîne, au temps oppressant, te semblent être privilégiés : chefs, caristes qui t’approvisionnent en pièces, magasiniers, entretien, tous les autres employés sans parler de ceux des bureaux. Il y a les ouvriers de la chaîne et les autres. Il ne faut pas croire pour autant que cette communauté de la souffrance soit unie et solidaire.
Il y a ceux qui endurent, ceux qui se révoltent, ceux qui sont fiers, et les fayots. L’équilibre est souvent bien dosé.
Un jour alors que mes activités en vue de la création d’une section syndicale avaient pour réponse quelques tracasseries ordinaires de la part du chef d’atelier, celui-ci décide de me changer de chaîne. Me voilà débarqué au poste châssis de la chaîne d’à côté. Là ce sont des gaillards, trois paysans du plateau bien costauds qui n’aiment pas trop l’agitation des « rouges ».
D’habitude pour mettre le châssis sur les tréteaux où on lui fixera l’essieu, puis le plancher après l’avoir retourné, on utilise un palan. Mais aujourd’hui, les trois gaillards ont décidé de faire ça à la main sûrement pour m’éprouver et pour montrer qu’ici on n’est des hommes, avec des biceps, et qu’on n’a pas peur du travail.
Et nous voilà toute la journée à soulever des châssis, à soulever des planchers. Les bras griffés par le bois, les muscles épuisés il ne faut rien dire et montrer qu’on est à la hauteur. Le lendemain mes compagnons reprennent l’usage du palan et m’acceptent parmi eux.
Ici on accepte les conditions de travail sans ronchonner. Pas de cantine le midi, c’est pique-nique au bord de la rivière ou dans la salle sans lumière où l’on vient engloutir la gamelle que la femme ou la mère a préparée, même pas de chauffe-plat. Pas de car pour venir de Valence, de Lamastre ou de Saint Félicien alors on s’arrange à plusieurs pour aller à l’usine, partager l’essence, mais c’est aussi l’occasion de galères: maladie, absentéisme de l’un ou l’autre, retard… et c’est des jours qui sautent, des absences injustifiées, le salaire diminué. Pas de vêtements de travail non plus, au châssis, on se salit avec la graisse des boulons, le blackson dont on enduit les planchers, la colle pour fixer les revêtements de sol. En fin de journée, on se nettoie les mains et les bras au trichloréthylène. Au bout de quelques jours c’est les cloques des brûlures qui apparaissent. Le bidon c’est un gros fût de 60 ou 80 litres qu’il faut pencher pour verser. Un midi en replaçant le fût un peu brutalement une giclé sort et m’asperge les yeux. Je suis aveugle, le chef vient me chercher et m’emmène à l’infirmerie, je reste aveugle plusieurs heures. Les accidents ne manquent pas. Je vois passer un gars qui se tient la main, derrière lui des traces de sang: doigt coupé, un ancien à côté de moi frappe les numéros de châssis avec une massette et s’explose les doigts, un autre qui nettoie avec une éponge une machine à contre plaqué dont les cylindres continuent de tourner se fait broyer le bras.
Moins spectaculaire, sur la chaîne, les peintres font des retouches sur les tôles quand celle-ci ont pris un coup de visseuse ou autre. Il n’y a pas de cabine de peinture, ils ne portent pas de masque, les vapeurs nous incommodent, mais personne ne se plaint, difficile de défendre les gens malgré eux. Au bout de six mois, leurs formules sanguines inversées montrent le degré d’intoxication!
Le temps est ainsi compté, la fatigue s’accumule au fil des années, la non-vie s’installe dans une répétition sans fin qui s’interrompt le temps des week-end et des vacances. L’espoir en des jours meilleurs diminue, un jour lointain peut être si l’on atteint la retraite…
Ici, l’on est rien, on nous fait bien sentir qu’on est au bas de l’échelle, pas de problème, on est gardé, encadré, méprisé, sanctionné et on fait avec.
Un jour peut-être je vous raconterais la suite : les jours de résistance et de grève.

Patrick Aujard

mercredi 19 décembre 2007

Blog Job sur France Inter

On se la pête comme on peut mais surtout avec ce qu'on a. A 6:20 ce 19 décembre 2007, les cinq minutes de l'émission d'Alexandre Boussageon et Kheira Retiel "Blog à part", sur France Inter, étaient consacrées à Blog Job.


lundi 17 décembre 2007

Erotocrade

Que ceux qui n'ont jamais regardé à minuit un film érotique à deux balles me jettent la première pierre: moi, j'en ai tourné un. Et c'est sûrement moins agréable à faire qu'à regarder...


Encore des histoires du monde du spectacle ! Bon, d’accord. Août 2001, je suis toujours premier assistant mise en scène et si vous avez lu de fond en comble ce blog, vous connaissez le plupart des attributions de mon métier (sinon, vous trouverez les renseignements ad hoc ici). En cette période estivale, c’est un peu la pénurie de boulot alors j’accepte d’assister un jeune réalisateur sur deux téléfilms pour la collection des séries roses d’une chaîne hertzienne. On appelle ce genre de produits des « érotic soft ». L’érotic soft est à peu près l’inverse total du porno hard, en tout cas dans sa terminologie : pas de poils, pas de membres, pas de trous. Pour le reste… Je rencontre donc la productrice – qui, en dehors de cette activité annexe, alimente d’autres chaînes en produits plus classiques, mais il paraît que le septuagénaire provincial est très friand de ces gaudrioles cathodiques nocturnes – reçois en échange les deux scénario que nous devons tourner et une formation accélérée du savoir-faire maison. A savoir : 90 minutes se tournent en… huit jours et j’ai huit jours pour préparer.
Elevé chez les jésuites, le réalisateur, qui a mon age, est un peu effrayé par la teneur des scripts et l’horizon qui se profile devant lui. Je tente de le rassurer, on est bien d’accord qu’il ne joue pas sa carrière sur ces deux films, on fait de l’alimentaire et puis, à vue de nez, c’est pas la mer à boire. A mon retour chez moi, je lis les scénario qui me tombent l’un après l’autre des mains et je commence à douter du résonnement que j’ai tenu quelques heures plus tôt. Le casting commence sous ses bons auspices. Visiblement, l’érotic soft attire trois types de comédiens : le comédien en fin de droits qui cherche désespérément le cachet et n’en est plus à tergiverser ; la fille qui fait des photos de cul pour internet ; la hardeuse à succès qui vient là parce qu’elle gagnera plus que sur un Dorcel du samedi. Nos trois premiers rôles sont bookés en une journée. Coté plan de travail, c’est déjà plus coton. J’ai beau faire de la daube, je n’en reste pas moins consciencieux, j’ai beau retourner ça dans tous les sens, ça ne rentre pas en huit jours mais en dix et encore sous speed. Je reviens vers la productrice pour lui exposer le problème. Réponse :
- Je crois qu’on s’est pas bien compris. C’est pas dix jours, c’est même pas neuf, c’est huit !
- Moi je veux bien, mais on a cinq scènes de plumard à faire, ça veut dire maquillage entier du corps, lumière…
- Je t’arrête tout de suite. T’as deux caméras pour les scènes de cul. Une scène de cul, c’est vingt minutes de tournage. Une scène normale, c’est grand max, dix minutes. Point. »
Me voilà prévenu ou conditionné, c’est comme on veut. Mais à la fin de la journée, mon plan de travail ressemble à la commande passée. Et on peut commencer le tournage. Je passe sur les épisodes croquignolets et puis il n’y en a pas tant que ça. A part peut-être ce petit matin, rue de la Gaîté, où on fait le pied de grue devant un sex-shop dans lequel on doit tourner, en attendant que le gérant sorte de son lit. Le type arrive, le café à peine digéré, il nous ouvre le rideau de fer de sa boutique et tout d’un coup, il aperçoit la grande pintade blonde qui nous accompagne (notre héroïne hardeuse). Les yeux lui jaillissent du crâne : c’est un fan de la première heure. Imaginez-vous ouvrant votre porte à votre star préférée. « Putain, j’ai tous vos DVD ! ».Tu m’étonnes, elle est même en tête de gondole sur tout un rayon du magasin. Ça encore, ça nous fait rire. La suite est moins glamour. On passe trois jours dans une pépinière d’entreprise désaffectée à Colombe, à filmer les ébats de notre trio. Une après-midi entière à enchaîner les postures dénudées dans une reproduction en fourrure synthétique d’un peep-show au kitch délétère. J’ai quasiment pas bouger de derrière le moniteur vidéo et je rentre chez moi avec un splendide staphylocoque au genou. La grande classe.
Mais c’est le dernier jour de tournage qui marque les esprits. Nous sommes dans un appartement du quartier de la Bastille. En milieu d’après-midi, nous passons dans la chambre pour les vingt minutes réglementaires d’un accouplement en bord de lit. La hardeuse est repartie vers d’autres aventures au bras de son mec, un cador miniature en survêt’ qui ne quitte jamais son yorkshire calé au creux du coude. Ca tombe bien, c’est aussi la fin de l’histoire, celle où la fiancée trompée par l’amoureux volage a eu sa revanche en couchant avec la maîtresse de celui-ci. Tout est pardonné, les choses sont rentrées dans l’ordre, on se remet en selle avec un petit câlin missionnaire. Les caméras se croisent autour du couple emmêlé (le cachetonneur et la fille-qui-fait-des-photos-pour-internet), le réalisateur cache son intarissable malaise derrière ses moniteurs, là-bas dans la cuisine et dirige la scène à distance avec un micro. Les vingt minutes s’écoulent, aussi interminable qu’un orgasme feint. Il nous reste encore trois séquences à tourner. Derrière, une semaine de break, puis une nouvelle semaine de préparation avant d’enchaîner le second film. L’équipe est plutôt décontractée – à l’instar du comédien cachetonneur, peu d’entre nous se sont déjà livré à un tel exercice. Heureusement, il ne nous reste plus que des scènes de bla-bla inconsistant à mettre en boîte, je renvoie tout le monde au costume, à la pause clope et aux bascules de lumières. Au milieu de l’agitation, je croise la fille-qui-fait-des-photos-pour-internet; dans son peignoir de bain, elle ère dans le couloir. Je la presse de remonter dans sa loge quand je remarque la blancheur de son visage et les cernes sous ses yeux. Je n’ai pas le temps de lui demander si elle a un problème, elle me tombe dans les bras, inerte. On appelle les pompiers, les pompiers l’embarquent, la directrice de production montent avec eux et on se retrouve comme des cons à attendre, en bricolant les dernières scènes comme on peut.
Deux heures plus tard, la directrice de production revient de l’hôpital, un peu pâle elle aussi. On la presse de questions, elle s’assoit et nous lâche que la fille-qui-fait-des-photos-pour-internet a fait une fosse couche, là, sur le plateau…
Comme tout les tournages, celui-ci aurait dû s’achever par une fête de fin de film. A la place de quoi j’ai signifié à qui de droit que je partais en vacances et qu’on pouvait m’oublier.

Sébastien Gendron


mercredi 12 décembre 2007

"Quand je voulais devenir homme d'affaires" entretien avec l'écrivain Iain Levison

Iain Levison est l'auteur de "Tribulations d'un précaire", récit de dix ans de galères entre une quarantantaine de job bien pourris et l'envie d'écrire. C'est ce bouquin qui a inspiré la création de BlogJob. Retour avec l'intéressé sur une carrière américaine...


Iain Levison bonjour. D’abord merci de vous prêter à cette interview intercontinentale. Votre biographie indique que vous êtes né en 1963 en Ecosse, que vous avez quitté la Grande Bretagne pour les Etats Unis en 1971, puis que vous êtes rentré au pays pour intégrer l’armée avant de repartir finalement aux USA où, pendant 10 ans, vous avez vécu de petits boulots tous plus ou moins pourris si l’on en croit le récit que vous nous en livrez dans « Tribulations d’un précaire », votre dernier roman. Expliquez nous un peu ce parcours qui semble être une fuite vers le moins pire.

Quand je suis retourné aux Etats Unis, j’ai démarré une petite entreprise de transport à Philadelphie. A ce moment de ma vie, je voulais devenir homme d’affaires. Des entreprises plus importantes m’ont poursuivi en justice afin d’assurer que je n’obtienne pas le permis pour mon camion. J’aurai pu finir par l’obtenir, mais ça m’aurait couté des milliers de dollars en frais juridiques. Pendant un temps je conduisais illégalement et sans permis, mais finalement je me suis fais attrapé et j’ai été obligé de payer plusieurs milliers en amendes. Donc, au fond je suis un capitaliste. Je faisais confiance au système, mais j’ai appris que le système a été ajusté pour favoriser les gens qui sont déjà des gagnants. C’est comme si, en regardant un match de foot, une équipe commence à gagner, on annonce en plein milieu du match que les règles ont changé. L’équipe qui est en train de gagner a le droit de faire rentrer plus de joueurs sur le terrain! C’est ça le fonctionnement du système économique américain.

Même s’il n’arrive en France qu’aujourd’hui, « Tribulations » est votre premier roman. Vous l’écrivez en 2002. A certains endroits de votre récit, vous évoquez votre rêve de devenir écrivain. Qu’est-il arrivé entre vos tribulations et le moment où vous prenez la plume ?

Je travaillais toujours quand j’écrivais. Mon objectif original était d’écrire un roman, mais je me suis rendu compte que je n’avais jamais assez de temps pour écrire, car j’étais en permanence en train de passer d’un boulot merdique et crevant à un autre, en essayant de payer les factures, afin d’avoir un chez moi pour écrire. Finalement je me suis dit, « Pourquoi ne pas écrire sur le fait que je suis obligé de bosser tout le temps et que je n’ai pas le temps d’écrire? » Et je me suis rendu compte que je n’étais pas seul, qu’on était des millions à travailler juste pour survivre, pour vivre. Qu’on donnait tant de nous-mêmes pour survivre afin de pouvoir bosser encore plus, cette prise de conscience est devenu « Tribulations ».

Ce récit qui vous met en scène dans plusieurs dizaines de boulots tous plus insanes les uns que les autres, petit pion dans l’économie de la première puissance du monde, vous inclus dans cette grande vague de protestation contre le système américain et ses laissés pour compte qui est arrivé en Europe au début des années 2000. Malgré tout, Ecossais de naissance, vous vivez toujours là-bas. Comment on explique une telle dichotomie ?

Après avoir quitté l’Armée Britannique en 1984, je vivais à Glasgow. A l’époque, Glasgow avait le taux de chômage le plus élevé de l’Europe. C’était l’enfer. Je faisais la queue pendant des heures pour avoir n’importe quel boulot ; Electricien, agent de surface… n’importe. Je n’arrivais jamais à décrocher ces postes car on était 300 sur le coup. Et puis, j’ai reçu une lettre d’un ami aux US qui me suggérait de revenir aux Etats Unis pour ouvrir une entreprise de transport avec lui. L’expérience d’être au chômage au R-U m’a décidé à ne jamais y retourner, malgré le fait que je sais qu’aujourd’hui les choses se sont beaucoup améliorées. N’importe quoi est mieux que d’être au chômage. C’est l’enfer. Les boulots que je décris dans « Tribulations » sont peut-être atroces, mais tous sont mieux que d’être sans emploi.

N’y a-t-il rien de comparable à raconter sur notre vieille Europe alors que nous aussi nous basculons lentement mais sûrement vers un système de plus en plus libérale qui prend exemple sur le modèle américain, même si celui-ci est déclinant ?

Il y a tellement d’auteurs talentueux qui connaissent l’Ecosse mieux que moi. Je n’y ai pas été depuis 20 ans. Je connais l’Amérique. Pour être franc, l’Ecosse c’est le passé. Par contre ils ont un super système de santé, et je suis encore un citoyen du Royaume Uni, donc si je tombe malade je saute dans le premier avion pour Glasgow. Ça pourrait peut-être faire un livre.

« Un petit boulot », votre second roman, premier paru en France, arrive donc tout de suite après « Tribulations ». Etait-ce une manière de pousser encore plus loin l’idée que pour survivre en Amérique, on peut tout accepter, même allez jusqu’à devenir tueur à gage juste pour garder l’estime de soi ? Est-ce que Iain Levison a rencontré, d’une manière ou d’une autre Jake Skowran et Ken Gardocki ?

Je l’aurais aimé… malheureusement, la plupart des gens que j’ai rencontré dans ces circonstances étaient beaucoup plus déprimés et abattus que mes personnages. Le fait d’avoir été renvoyé de leurs boulots a épuisé leurs résistances. Ils n’avaient plus de dignité. On ne se rend pas compte de la fragilité de notre infrastructure tout en entière jusqu’au moment où on perd tout. La façon de se sentir est liée à l’état de la communauté dans laquelle on vit, beaucoup plus qu’on le croit. Quand votre communauté se fait anéantir pour qu’une entreprise puisse gagner de l’argent, les gens sont blessés de façon psychologique autant que financier.Donc, les personnages sont plutôt des constructions de héros que je n’ai pas encore rencontrés.

En France, l’accueil de vos romans depuis « Un petit boulot » est toujours enthousiaste. On voit une continuité du travail d’un Michael Moore, la plume en plus. Comment ça se passe aux USA ? Quelles ont été les rencontres que vous avez pu faire au cours de vos tournées promotionnelles ?

J’adore l’œuvre de Michael Moore… il est un des seuls américains qui commence à parler des « éléphants dans le salon » (une expression pour dire les choses dont on devrait parler mais qu’on ne fait jamais). Moore parle du système de santé, des inégalités financières du marché libre, des abus de pouvoirs, du control des armes. Les medias grand public ne veulent pas toucher ce genre de sujet… ils préfèrent focaliser sur Al Qaida et Britney Spears; les sujets qui provoquent des réactions rapides et viscérales. Michael Moore et moi-même sont tous les deux des personnes de métier qui sont intervenus après avoir été abusé, mais c’est là où s’arrête la ressemblance ; Je suis un romancier et lui est cinéaste, et les médias attirent des types de personnalités différents. Il a aussi bénéficié du fait que les Etats Unis ont le gouvernement le plus débile de leur histoire. Bush est si abominable, et est en train de détruire ce pays d’une façon tellement rapide, qu’il représente une vraie opportunité d’affaires pour les réalisateurs tel que Moore, et pour des journalistes d’investigation. Les romans n’attirent pas le même marché. C’est plus subtile, plus lent. Mais je m’amuse quand-même.

Quels sont vos projets?

J’adore le livre sur lequel je travaille en ce moment. C’est dans la lignée d’ « Une canaille et demie », avec beaucoup plus de personnages. L’histoire se déroule dans une ville fictive près de la frontière canadienne, où la police locale commence à tuer les criminels plutôt que de les envoyer en justice. La fin est surprenante aussi.

Merci Iain Levison pour cet instant passé, à distance, en votre compagnie.

Merci… c’était un plaisir de discuter avec vous.

Propos recueillis par Sébastien Gendron pour L'ours Polar
Traduction de Alison Taylor-Granié
Les romans de Iain Levison sont publiés chez Liana Levi
Mais vous pouvez vous les procurer aussi ici

Debout!

Les jolies colonies de vacances, le plaisir du grand air et la solidarité entre collègues, le bonheur estival quoi !


Tous mes étés d'étudiants, je les ai passé à faire soit des colos, soit des centres de loisirs... Cet été-là, j'avais décidé de faire les deux. Et après deux centres de vacances bien éreintants, je reviens sur Paris pour bosser en centre de loisirs du coté du 18ème. Manque de bol, je tombe malade le 2ème jour, avec une fièvre de cheval. J'appelle le dirlo, qui me dit "Allez, on est en sous effectif, bourre toi de médocs et viens nous rejoindre !" Pensant à la paye que je n'aurais pas si je reste chez moi, je suis son conseil. Transpirant, fatigué, à moitié dans les vapes, je tente de faire mon boulot tant bien que mal. La matinée se passe, et on m'annonce que l'après midi, on part en sortie en forêt. Au total, 3 animateurs pour une quarantaine d'enfants. On arrive tôt, et mes deux collègues enchaînent pause clope sur pause clope, et pas 5 minutes, et surtout très loin de nous... Du coup, au bout d'un moment, je me dis : merde, je fume pas, mais je bosse plus qu'eux, et je suis à 40 de fièvre... Je vais voir ma collègue et lui dis : « Ecoute, je peux pas prendre de pause clope, je sens plus ma tête, je m'allonge là, ici, juste à droite 5 minutes, histoire de décompresser... ». Ce à quoi elle me répond ok. 30 secs que je suis allongé et le big boss de la mairie de Paris qui passe par là, me voit, fonce sur ma collègue et lui dit: « C'est un de vos collègues ? » Elle, très courageuse, ne cille pas, n'essaye pas de convaincre et répond "Oui". Le molosse me fonce dessus et me dis "Relève toi, tu es animateur, oui ? et bien, la prochaine fois que je repasse et que je te vois allongé, je te vire !". Je tente un faible "Mais..." qui se meurt dans un bruit de gorge un peu rauque, et me remets au boulot, pendant que mes collègues repartent en pause clope, sans que le ponte de la mairie de cille.
Moralité : le lendemain, j'ai fait un arrêt maladie pour le reste de la semaine, et j'y ai plus jamais mis les pieds.

Sébastien Michel

mardi 11 décembre 2007

Changez pour du pire

On ne le répétera jamais assez: si vous voulez à tout prix rejoindre la communauté des boulots péraves, engagez-vous dans la restauration. Ou bien attendez que la restauration vienne à vous...

Étudiant, je bossais à l'hôpital pour payer mes études (et draguer les infirmières), en général, le week-end.
Un jeudi, la DRH (ça ne s’appelait pas encore comme ça) me dit “Ce week end, vous travaillerez aux cuisines, ça vous changera ! “. Pour sûr, t’as l’air d’un con habillé en cuisinier et question drague, tu peux te la mettre sur l’oreille. Les cuistots ne bossaient que le samedi de 7 à 15 h et moi – qui faisait la plonge – de 7 à 12 et de 17 à 20. Arrivé à 7 h, c’était assez calme, mais les gars me prévinrent que ça serait chaud car ils faisaient la bouffe pour tout le week-end, et ça n’a pas manqué, dès 8 h, le speed, des gamelles inlevables tellement elles sont lourdes, dans des états pitoyables, des éviers que même le bras dedans, tu ne touches pas le fond, bref l’horreur. Je trime comme un fou et quand je me barre à 12h, les cuistots rigolent comme des tordus “Tu pourras pas rentrer dans ta cuisine lorsque tu reviendras... »
Je pensais que c’était exagéré... Mais comme je savais que je serai seul et que je ne les reverrai pas (vu qu’ils ne travaillaient pas le lendemain) je craignais quand même.
Je reviens à 17 heures (mes potes restant au chaud au bistrot, eux) et là, impossible d’accéder jusqu’aux éviers, les ordures – profitant de mon absence - ont empilé les gamelles n’importe comment ! J’ai mis une heure à tout virer rien que pour accéder aux éviers où l’eau était froide et croupissante... Je hurlais là dedans, traitant tout le monde de tous les noms... J’ai fini avec une bonne heure et demie, pas payé plus et dès le lundi, j’ai dit à la DRH “Plus jamais les cuisines, j’ai horreur du changement!"

John Doe

Repasses tes traductions!

BlogJob se devant de relayer les infos du net qui valent le coup, voici un lien plutôt caucasse vers un confrère de la toîle, et pas des moindres. Ou comment attirer le chalant multicarte...

Dans une entrée récente de son blog*, Pierre Assouline cite une offre d'emploi parue sur le site de l'ANPE. Cette offre d'emploi (n°595453L) propose 13 euros de l'heure pour traduire un roman du français en arabe, mais aussi effectuer les taches ménagères et faire les courses !
Le président de l'ATLF (Association des Traducteurs Littéraires de France) a dû prendre sa plus belle plume pour expliquer à l'ANPE que cette offre était jugée insultante pour la profession : "Pratiquée par plusieurs centaines de traducteurs littéraires qualifiés, diplômés, universitaires, la traduction exige de très hautes compétences dans le domaine des lettres étrangères et dans la maîtrise de la langue française."

Depuis la parution, le 25 novembre 2007, de cet article dans le blog de Pierre Assouline, l’ANPE a retiré cette annonce. Et ce qu’il y a de stupéfiant là-dedans, ce n’est pas tant le retrait lui-même mais la cause invoquée : lorsque vous cliquez sur le lien « cette offre d’emploi » – et nous vous invitons à la faire, bien entendu – voici le message que vous délivre l’ANPE :
« Déconnexion du réseaux – Vous venez d'être déconnecté pour des raisons de sécurité. Le plus souvent, le système vous déconnecte automatiquement lorsque le délai entre le début d'une action et sa validation excède les 15 minutes. Nous vous invitons à retourner sur la page d'accueil. Pour plus d'information consultez notre aide sur les problèmes de connexion ou écrivez pour nous pour préciser le problème en utilisant notre formulaire de contact. Veuillez nous excuser de la gêne occasionnée. Retour à l'accueil. »

Nous vous laissons toute liberté de contacter ce service en ligne afin de demander plus d’information sur « les raisons de sécurité » qui empêchent tout traducteur en manque de tâches ménagères de consulter à sa guise une éventuelle offre d’emploi qui aurait pu satisfaire ses besoins. Quant à la déconnexion automatique, il faudra qu’il vous explique comment elle peut l’être alors même qu’un simple clic d’une fraction de seconde vous a mené jusqu’à cette fin de non recevoir.

John Doe & Sébastien Gendron

* http://passouline.blog.lemonde.fr/2007/11/25/on-demande-traducteur-sachant-repasser/

lundi 10 décembre 2007

Bienvenue dans le monde merveilleux!

On connaissait en France la précarité des employés d'Eurodisney. Voici la version sur glace ou comment exporter un modèle délicieux de participation à l'entreprise:


Parmi la foultitude de boulots pourris qu’a exercé Iain Levison et qu’il raconte dans « Tribulations d’un précaire » que vous citez dans votre liste des bouquins à lire, il y en a un qu’il ne connaît pas : patineur sur glace pour le compte de Disney on Ice.
Des spectacles à travers le monde entier dans des salles immenses une année durant, tout ça à la gloire de Mickey et de ses parcs d’attractions. Quel que soit le sujet – en ce moment ce sont les personnages du film « Les indestructibles » - tout tourne autour de Disneyland et de son merchandising (les salles sont bourrées de vendeurs à la sauvettes qui proposent des centaines de saloperies en plastique).
Ils sont quatre-vingt dix patineurs et techniciens à venir des Etats Unis. Un show par soir en semaine sauf le jeudi, trois les mercredi, samedi et dimanche. Un show, c’est deux set de cinquante minutes chacun séparés par un entracte de quinze minutes. Quinze minutes de repos ? Que dalle ! Pour dix euros supplémentaires, les patineurs font les comptes de la billetterie. La billetterie des salles est généralement informatisée, c’est elle qui vous fournie la comptabilité précise de la journée. Mais chez Disney, on est un rien parano. A l’entracte, les patineurs recomptent donc les billets vendus, un à un, à la main.
Autre chose ? Bien sûr : la production paye la moitié seulement de la chambre d’hôtel. Les patineurs et les techniciens s’entassent donc à deux par chambre pour partager l’autre moitié. Mais ils se trouvent mieux lotis que chez Holiday on Ice où la production ne prend même pas la peine de booker les hôtels…
Et on vous passe les frais de patins, entièrement à la charge des artistes.

John Doe

vendredi 7 décembre 2007

Les relevés du conteur

Vous avez ricané en regardant le facteur pédaler comme un dératé devant le chien de la voisine? Voici l'agent EDF dans une posture similaire. Pas drôle? Ca dépend du voisinage ...

Eté 1991. Me voila, étudiant en vacances, pour un mois d’été à relever les compteurs électriques pour EDF, en Charente. Après une formation d’une demi journée, on me confie un paquet de fiches, un crayon de papier et une « Acadiane » (pour ceux qui ne connaissent pas, c’est une Diane fourgonnette de Citroën). Quelques « tournées » à faire sur Cognac et des tournées beaucoup plus nombreuses dans la campagne à la frontière avec la Dordogne… Le bout du monde. Bon an, mal an, ça se passe plutôt bien.
Un après midi, en pleine campagne donc, je vais de ferme en ferme relever mes compteurs. Parfois plusieurs kilomètres d’une maison à l’autre. Je me retrouve devant une vieille porte métallique qui barre l’accès à un chemin de terre. La boite à lettres indique que c’est bien là que je dois trouver mon prochain compteur. Je descends de voiture, pousse la grille, et redémarre sur le chemin hyper carrossable si j’étais venu en tracteur. Enfin, derrière un petit bois, la ferme apparaît. Vielle bâtisse, laissée en l’état depuis sa construction il y a…bien longtemps. Je me gare, je descends. La porte de la maison est ouverte. Je m’approche et sans hésiter, je frappe pour m’annoncer.
OUAFF ! OUAF ! Putain, c’est un chien qui répond et au son de sa voix, ce n’est pas un caniche. J’ai à peine le temps de comprendre que j’ai dû faire une connerie que déjà le molosse, un berger allemand, surgit dans l’entrée et se jette sur moi. Mû par un réflexe venu de je ne sais où, je me retourne et fait le dos rond… Le clebs a dû penser que je lui faisais un cadeau et se jette sur moi pour me bouffer le dos que je lui offrais dans toute la splendeur de mon t-shirt blanc.
Aïe, j’ai mal…
Le chien, se carapate aussi sec et se réfugie sous la table de la cuisine, la queue entre les jambes et les oreilles rabattues, genre, d’accord, j’ai fait une connerie mais c’était super tentant…
Là-dessus, arrive enfin la propriétaire des lieux : une grand-mère aussi âgée que sa ferme qui à peine elle me voit, se met à pousser des cris d’orfraie, du genre « Mon pôv’ monsieur, quel malheur, je vais appeler un médecin, tout est de ma faute, saleté de chien et pourtant d’habitude, il est pas méchant ». Moi, très digne : « Pensez vous, ce n’est rien, même pas mal, il n’a pas mordu, tout juste pincé, ne le fâchez pas, c’était pour jouer, où est le compteur ? ». Je n’avais qu’une hâte, me barrer au plus vite, non sans voir accompli ma tâche. Je réussis donc à la convaincre qu’il n’y a pas besoin de médecin, que c’était un vieux t-shirt et que sérieusement, dites moi où est ce putain de compteur. Elle abdique donc, je relève le compteur et m’engouffre dans mon Acadiane. En route pour l’abonné suivant ; abonné que je finis par dénicher à 3 ou 4 kilomètres… Petite angoisse en arrivant, en ayant l’impression d’arriver à la ferme jumelle de la précédente comme dans un épisode de la quatrième dimension où j’aurais été condamné à vivre éternellement le même instant ou, pour les plus jeunes, dans « Un jour sans fin » dans lequel le jour de la marmotte devient l’éternel quotidien de Bill Murray. Mais je m’égare.
Je me gare aussi, mais pas con, au lieu de descendre de voiture, j’attends, portières et vitres fermées que mes coups de klaxon éveillent l’autochtone. Ce dernier se pointe, seul, sans chien et me fait signe de le suivre avec un grand sourire. Je m’extraie difficilement, la blessure commençant à me lancer sérieusement. Le sourire du type disparaît quand il voit l’état de mon t-shirt (oui, le sang sur le coton blanc passe rarement inaperçu). Il demande et je réponds que bon, c’est le chien de la voisine qui… Je n’ai pas le temps d’en dire plus, le voilà qui s’emporte contre la vieille folle qui n’a jamais tenu ses chiens (ses chiens ? Aurais-je eu de la chance dans mon malheur ?) et que depuis le temps, ça devait arriver et on va appeler un médecin. Moi, toujours stoïque, non merci, ça va aller, pas de médecin et puis j’ai ma tournée à finir. Il cède à la condition que je laisse sa femme désinfecter tout ça, on ne sait jamais. Compromis acceptable. Il appelle Madame (Simone !!!), lui explique et Simone repart et revient armée d’un sac de coton hydrophile et d’une bouteille d’éther…
Moi : Euh… Vous êtes sûre pour l’éther ?
Elle : Ben, de toute façon, on n’a plus que ça…
Moi : Bon d’accord.
Lui : Ki s’inquiète pas, l’éther, ça pique pas…
Ah, ben, si ça ne pique pas…
Madame ouvre son flacon, imbibe généreusement un morceau de coton non moins généreux et me l’applique sur la plaie. Effectivement, ça ne pique pas. En revanche, ça sent, ça sent super fort, l’éther. Les vapeurs me parviennent direct dans les narines et
Trou noir.
Je m’évanouis.
Quand j’ouvre les yeux, le couple est penché sur moi. Elle, l’air inquiète. Lui, plutôt rigolard (les petits jeunes, ça ne tient pas le coup). On m’aide à me redresser, je tiens à peu près sur mes jambes et ne demande qu’une chose : pouvoir partir. Oui mais voilà : ils n’ont pas l’intention de me laisser repartir comme ça. Allez, un petit verre, ça va vous redonner des couleurs. Je sens que je perdrais plus de temps à refuser le verre en question qu’à l’accepter, le boire et filer d’ici. J’accepte donc. On s’installe autour de la table et avant que j’aie le temps de comprendre, je me retrouve avec un verre à moutarde « Capitaine Flam » rempli de Cognac.
Vous pouvez y aller sans crainte, qu’il me dit, c’est moi qui le distille.
Je n’ai même plus essayé de résister, de protester, de biaiser ou quoi que ce soit. J’ai bu. Un peu. Beaucoup. J’ai bu mon verre dans son intégralité… J’ai pu enfin les convaincre de me laisser partir après avoir, réflexe que j’ai encore du mal à comprendre aujourd’hui, pensé à relever ce putain de compteur.
J’ai serré les fesses pour ne pas tomber sur un contrôle des gendarmes. Vue ma vitesse (40km/h en pointe), j’aurais tout de suite paru suspect.
Avant de rentrer, je me suis arrêté dans un supermarché pour m’acheter un t-shirt propre, je n’avais aucune envie de subir les questions et commentaires des collègues, ni de leur raconter ma pitoyable aventure…

Belleng

mercredi 5 décembre 2007

L'employé du mois

On connait les galères de bons nombres d'employés de la réstauration. Mais parfois, le patron n'est pas le plus suprenant...

C’était le mois de juillet. J’avais 18 ans. Mon père m’avait trouvé une place de commis de cuisine dans un restaurant d’entreprise à La Défense.
On commençait tôt, vers 6h00 et on terminait à 15 heures. Ça me convenait bien comme horaire, j’avais l’après-midi et la soirée pour moi.
Ali, c’était le chef de cuisine, un mec rigolo, pas loin du quintal, d’origine algérienne. Il m’avait à la bonne.
Le matin tôt, c’était préparation et vers 10 heures on commençait réellement à cuisiner. Nous, les préparateurs, cuisiniers et plongeurs, on mangeait un peu plus tard vers 10h45, avant le service.

Ce jour-là, Ali avait fait du couscous. Il faut imaginer une étuve de cantine, qui devait contenir 50 kilos de semoule, et le gros Ali, qui plonge ses mains, que dis-je, ses bras à l’intérieur de la cocotte géante pour brasser la graine.
Il me regarde et me demande ce que j’ai l’intention de manger à la pause déjeuner. Je lui réponds en fayotant un peu, que j’aimerais bien goûter son couscous… Il m’arrête net.
« Surtout pas, je viens d’aller aux chiottes et je ne me suis pas lavé les mains… ».
Je ne sais pas s’il y a eu des prélèvements sanitaires ce jour-là, mais j’imagine que le taux de coliformes fécaux dans le couscous devait égaler le taux d’absentéisme des employés de la tour du lendemain.
Moi j’avais avalé un steak dont j’avais surveillé la cuisson …

Marc Sieger

Oui!

Dans les mariages, on prend souvent les types munis de caméras pour des cousins éloignés de l'une des familles. Or, il existe des profesionnels de l'affaire...

J’avais 19 ou 20 ans, un besoin urgent d’argent. Je voulais absolument un magnétoscope VHS pour pouvoir visionner en boucle Hitchcock, Spielberg et Welles. J’ai donc accepté de filmer des mariages. Tous les week-end, j’allais filmer des gens qui faisaient la fête, qui promettaient de s’aimer pour la vie, qui dansaient, buvaient et souvent vomissaient.
Bref, un jour, le producteur de cette « grande maison de production », m’envoya effectuer seul le tournage d’un mariage à la mairie de Drancy.
Seul … . D’abord trouver Drancy, puis la mairie.
J’emprunte la 104 orange de ma mère et arrive finalement, transpirant, encombré par des câbles, une caméra pas pratique, un micro que je n’arrivais pas à brancher … .
Les invités, la famille, les mariés me regardent bizarrement genre « Merde, c’est qui ce gus qu’ils ont envoyé ? Ah, les enfoirés ! ». C’est vrai que je mettais plutôt l’argent de côté pour le VHS que pour mes fringues, qui me donnaient l’air, je dois l’admettre maintenant, d’un préposé aux allocations familiales du Tamil-Nadu. Pantalon large marron, un peu trop court, veste à carreaux trop grande et pull tricoté par ma grand-mère, chaussures usées et pas cirées.
Bref, ces regards appuyés pénibles et limite vexant finissent par passer, car ça y est, on passe aux choses sérieuses. L’adjoint au Maire invite les gens à s’asseoir. Je commence mon filmage. Je suis nerveux, je transpire, je connais pas encore bien les différentes étapes du mariage, donc j’attends fébrilement le moment, où le Maire va demander si les époux consentent à s’emmerder ensemble toute leur vie. Pour ne rien manquer je filme tout, sans arrêt.
Et évidemment, à l’instant où les époux, les larmes aux yeux disent le fameux oui, ma caméra ne tourne plus. Plus de cassette. Putain, je fouille mes poches, j’en trouve une, déchire le blister, enfonce la cassette dans la caméra, et je recommence à tourner, … trop tard.
Le maire continue à faire son discours, et moi, je tape discrètement sur l’épaule du marié, et je lui demande de redire juste « OUI », comme ça moi après je l’insérerais dans le montage, et si madame pouvait faire la même chose , ça m’arrangerait. Regard noir du marié, qui ne me répond même pas. Bon ok … J’ai foiré.
Quelques instants plus tard, la célébration se termine, je rechoppe les mariés dans les escaliers je réitère ma demande, et là, refus catégorique. Je n’aurais pas mes « OUI ».
Je rentre donc épuisé par tant de stress, à la boîte de prod. et livre les cassettes au producteur, je demande mon cash tout de suite, et je me barre sans me retourner.
J’avais décidé d’un truc : je ne tournerais plus jamais de mariage de ma vie.
Parce que rater le tournage du mariage même si ce sont des parfaits inconnus, c’est pas possible, c’est juste qu’on se dit qu’on est qu’une merde.

Marc Sieger

mardi 4 décembre 2007

Le magnifique (opus 2)

Nouvelle épisode de la micro saga "Le magnifique" où comment une star du petit écran aujourd'hui oublié peut vous coller sérieusement les glandes...

Retour sur un tournage déjà évoqué plus bas et dont, pour les raisons elles aussi longuement évoquées par le passé, je ne citerais ni le titre, ni le comédien incriminé.
Nous tournons dans l’école d’un petit village de la Loire, c’est notre premier jour et je suis assistant mise en scène. Le bled compte cinq cent âmes, mais ce soir, à quelques minutes de la coupure, le comédien découvre par les fenêtres de la classe une foule plutôt dense qui l’attend de pied ferme autour de sa caravane. Immédiatement, il m’attrape, mâchoires serrées et me dit que ce n’est pas possible, qu’il est fatigué et que je dois l’escorter à la sortie et éviter que ces gens ne l’accaparent. Prenant fait et cause pour ma tâche, à la sortie du plateau, je me mets donc devant la célébrité et le guide à travers la foule. Les gens sont relativement calmes mais pressant, tout le monde veut son petit autographe. Gentiment, je commence à leur expliquer que M. X est un peu pressé et qu’il a besoin de regagner sa caravane au plus vite.
A peine ai-je commencé que l’acteur me lance : « Attends, Sébastien, t’es pas sympa ! Ces gens poireautent depuis une heure dans le froid pour me voir, tu vas pas les congédier comme ça ! Bonjour, Madame, alors c’est pour qui cet autographe… »
Ok ! Je ferme ma gueule et je reste à proximité pour juguler les badauds et éviter la cohue. Rapidement, je perçois les œillades que me lance le comédien : au bout d’à peine cinq minutes, il en a raz le bol et m’appelle discrètement à son secours. Je reprends donc mon bâton d’emmerdeur cool et j’explique aux gens que la séance de dédicaces est terminée et qu’il est maintenant temps pour M. X de rejoindre sa… « Mais enfin, Sébastien, de quoi tu te mêles ! Ca va, t’es gentil, je peux gérer. On va pas les virer comme ça quand même. Oui, Monsieur ? C’est pour qui ? »
Je l’ai planté là, le comédien. Au milieu de ses admirateurs dont les rangs grossissaient de minute en minute. Et je suis reparti, moi, rejoindre ma chambre d’hôtel ou m’attendaient encore quelques heures de boulot pour organiser la journée du lendemain.

Sébastien Gendron