vendredi 7 décembre 2007

Les relevés du conteur

Vous avez ricané en regardant le facteur pédaler comme un dératé devant le chien de la voisine? Voici l'agent EDF dans une posture similaire. Pas drôle? Ca dépend du voisinage ...

Eté 1991. Me voila, étudiant en vacances, pour un mois d’été à relever les compteurs électriques pour EDF, en Charente. Après une formation d’une demi journée, on me confie un paquet de fiches, un crayon de papier et une « Acadiane » (pour ceux qui ne connaissent pas, c’est une Diane fourgonnette de Citroën). Quelques « tournées » à faire sur Cognac et des tournées beaucoup plus nombreuses dans la campagne à la frontière avec la Dordogne… Le bout du monde. Bon an, mal an, ça se passe plutôt bien.
Un après midi, en pleine campagne donc, je vais de ferme en ferme relever mes compteurs. Parfois plusieurs kilomètres d’une maison à l’autre. Je me retrouve devant une vieille porte métallique qui barre l’accès à un chemin de terre. La boite à lettres indique que c’est bien là que je dois trouver mon prochain compteur. Je descends de voiture, pousse la grille, et redémarre sur le chemin hyper carrossable si j’étais venu en tracteur. Enfin, derrière un petit bois, la ferme apparaît. Vielle bâtisse, laissée en l’état depuis sa construction il y a…bien longtemps. Je me gare, je descends. La porte de la maison est ouverte. Je m’approche et sans hésiter, je frappe pour m’annoncer.
OUAFF ! OUAF ! Putain, c’est un chien qui répond et au son de sa voix, ce n’est pas un caniche. J’ai à peine le temps de comprendre que j’ai dû faire une connerie que déjà le molosse, un berger allemand, surgit dans l’entrée et se jette sur moi. Mû par un réflexe venu de je ne sais où, je me retourne et fait le dos rond… Le clebs a dû penser que je lui faisais un cadeau et se jette sur moi pour me bouffer le dos que je lui offrais dans toute la splendeur de mon t-shirt blanc.
Aïe, j’ai mal…
Le chien, se carapate aussi sec et se réfugie sous la table de la cuisine, la queue entre les jambes et les oreilles rabattues, genre, d’accord, j’ai fait une connerie mais c’était super tentant…
Là-dessus, arrive enfin la propriétaire des lieux : une grand-mère aussi âgée que sa ferme qui à peine elle me voit, se met à pousser des cris d’orfraie, du genre « Mon pôv’ monsieur, quel malheur, je vais appeler un médecin, tout est de ma faute, saleté de chien et pourtant d’habitude, il est pas méchant ». Moi, très digne : « Pensez vous, ce n’est rien, même pas mal, il n’a pas mordu, tout juste pincé, ne le fâchez pas, c’était pour jouer, où est le compteur ? ». Je n’avais qu’une hâte, me barrer au plus vite, non sans voir accompli ma tâche. Je réussis donc à la convaincre qu’il n’y a pas besoin de médecin, que c’était un vieux t-shirt et que sérieusement, dites moi où est ce putain de compteur. Elle abdique donc, je relève le compteur et m’engouffre dans mon Acadiane. En route pour l’abonné suivant ; abonné que je finis par dénicher à 3 ou 4 kilomètres… Petite angoisse en arrivant, en ayant l’impression d’arriver à la ferme jumelle de la précédente comme dans un épisode de la quatrième dimension où j’aurais été condamné à vivre éternellement le même instant ou, pour les plus jeunes, dans « Un jour sans fin » dans lequel le jour de la marmotte devient l’éternel quotidien de Bill Murray. Mais je m’égare.
Je me gare aussi, mais pas con, au lieu de descendre de voiture, j’attends, portières et vitres fermées que mes coups de klaxon éveillent l’autochtone. Ce dernier se pointe, seul, sans chien et me fait signe de le suivre avec un grand sourire. Je m’extraie difficilement, la blessure commençant à me lancer sérieusement. Le sourire du type disparaît quand il voit l’état de mon t-shirt (oui, le sang sur le coton blanc passe rarement inaperçu). Il demande et je réponds que bon, c’est le chien de la voisine qui… Je n’ai pas le temps d’en dire plus, le voilà qui s’emporte contre la vieille folle qui n’a jamais tenu ses chiens (ses chiens ? Aurais-je eu de la chance dans mon malheur ?) et que depuis le temps, ça devait arriver et on va appeler un médecin. Moi, toujours stoïque, non merci, ça va aller, pas de médecin et puis j’ai ma tournée à finir. Il cède à la condition que je laisse sa femme désinfecter tout ça, on ne sait jamais. Compromis acceptable. Il appelle Madame (Simone !!!), lui explique et Simone repart et revient armée d’un sac de coton hydrophile et d’une bouteille d’éther…
Moi : Euh… Vous êtes sûre pour l’éther ?
Elle : Ben, de toute façon, on n’a plus que ça…
Moi : Bon d’accord.
Lui : Ki s’inquiète pas, l’éther, ça pique pas…
Ah, ben, si ça ne pique pas…
Madame ouvre son flacon, imbibe généreusement un morceau de coton non moins généreux et me l’applique sur la plaie. Effectivement, ça ne pique pas. En revanche, ça sent, ça sent super fort, l’éther. Les vapeurs me parviennent direct dans les narines et
Trou noir.
Je m’évanouis.
Quand j’ouvre les yeux, le couple est penché sur moi. Elle, l’air inquiète. Lui, plutôt rigolard (les petits jeunes, ça ne tient pas le coup). On m’aide à me redresser, je tiens à peu près sur mes jambes et ne demande qu’une chose : pouvoir partir. Oui mais voilà : ils n’ont pas l’intention de me laisser repartir comme ça. Allez, un petit verre, ça va vous redonner des couleurs. Je sens que je perdrais plus de temps à refuser le verre en question qu’à l’accepter, le boire et filer d’ici. J’accepte donc. On s’installe autour de la table et avant que j’aie le temps de comprendre, je me retrouve avec un verre à moutarde « Capitaine Flam » rempli de Cognac.
Vous pouvez y aller sans crainte, qu’il me dit, c’est moi qui le distille.
Je n’ai même plus essayé de résister, de protester, de biaiser ou quoi que ce soit. J’ai bu. Un peu. Beaucoup. J’ai bu mon verre dans son intégralité… J’ai pu enfin les convaincre de me laisser partir après avoir, réflexe que j’ai encore du mal à comprendre aujourd’hui, pensé à relever ce putain de compteur.
J’ai serré les fesses pour ne pas tomber sur un contrôle des gendarmes. Vue ma vitesse (40km/h en pointe), j’aurais tout de suite paru suspect.
Avant de rentrer, je me suis arrêté dans un supermarché pour m’acheter un t-shirt propre, je n’avais aucune envie de subir les questions et commentaires des collègues, ni de leur raconter ma pitoyable aventure…

Belleng

Aucun commentaire: