mercredi 12 décembre 2007

"Quand je voulais devenir homme d'affaires" entretien avec l'écrivain Iain Levison

Iain Levison est l'auteur de "Tribulations d'un précaire", récit de dix ans de galères entre une quarantantaine de job bien pourris et l'envie d'écrire. C'est ce bouquin qui a inspiré la création de BlogJob. Retour avec l'intéressé sur une carrière américaine...


Iain Levison bonjour. D’abord merci de vous prêter à cette interview intercontinentale. Votre biographie indique que vous êtes né en 1963 en Ecosse, que vous avez quitté la Grande Bretagne pour les Etats Unis en 1971, puis que vous êtes rentré au pays pour intégrer l’armée avant de repartir finalement aux USA où, pendant 10 ans, vous avez vécu de petits boulots tous plus ou moins pourris si l’on en croit le récit que vous nous en livrez dans « Tribulations d’un précaire », votre dernier roman. Expliquez nous un peu ce parcours qui semble être une fuite vers le moins pire.

Quand je suis retourné aux Etats Unis, j’ai démarré une petite entreprise de transport à Philadelphie. A ce moment de ma vie, je voulais devenir homme d’affaires. Des entreprises plus importantes m’ont poursuivi en justice afin d’assurer que je n’obtienne pas le permis pour mon camion. J’aurai pu finir par l’obtenir, mais ça m’aurait couté des milliers de dollars en frais juridiques. Pendant un temps je conduisais illégalement et sans permis, mais finalement je me suis fais attrapé et j’ai été obligé de payer plusieurs milliers en amendes. Donc, au fond je suis un capitaliste. Je faisais confiance au système, mais j’ai appris que le système a été ajusté pour favoriser les gens qui sont déjà des gagnants. C’est comme si, en regardant un match de foot, une équipe commence à gagner, on annonce en plein milieu du match que les règles ont changé. L’équipe qui est en train de gagner a le droit de faire rentrer plus de joueurs sur le terrain! C’est ça le fonctionnement du système économique américain.

Même s’il n’arrive en France qu’aujourd’hui, « Tribulations » est votre premier roman. Vous l’écrivez en 2002. A certains endroits de votre récit, vous évoquez votre rêve de devenir écrivain. Qu’est-il arrivé entre vos tribulations et le moment où vous prenez la plume ?

Je travaillais toujours quand j’écrivais. Mon objectif original était d’écrire un roman, mais je me suis rendu compte que je n’avais jamais assez de temps pour écrire, car j’étais en permanence en train de passer d’un boulot merdique et crevant à un autre, en essayant de payer les factures, afin d’avoir un chez moi pour écrire. Finalement je me suis dit, « Pourquoi ne pas écrire sur le fait que je suis obligé de bosser tout le temps et que je n’ai pas le temps d’écrire? » Et je me suis rendu compte que je n’étais pas seul, qu’on était des millions à travailler juste pour survivre, pour vivre. Qu’on donnait tant de nous-mêmes pour survivre afin de pouvoir bosser encore plus, cette prise de conscience est devenu « Tribulations ».

Ce récit qui vous met en scène dans plusieurs dizaines de boulots tous plus insanes les uns que les autres, petit pion dans l’économie de la première puissance du monde, vous inclus dans cette grande vague de protestation contre le système américain et ses laissés pour compte qui est arrivé en Europe au début des années 2000. Malgré tout, Ecossais de naissance, vous vivez toujours là-bas. Comment on explique une telle dichotomie ?

Après avoir quitté l’Armée Britannique en 1984, je vivais à Glasgow. A l’époque, Glasgow avait le taux de chômage le plus élevé de l’Europe. C’était l’enfer. Je faisais la queue pendant des heures pour avoir n’importe quel boulot ; Electricien, agent de surface… n’importe. Je n’arrivais jamais à décrocher ces postes car on était 300 sur le coup. Et puis, j’ai reçu une lettre d’un ami aux US qui me suggérait de revenir aux Etats Unis pour ouvrir une entreprise de transport avec lui. L’expérience d’être au chômage au R-U m’a décidé à ne jamais y retourner, malgré le fait que je sais qu’aujourd’hui les choses se sont beaucoup améliorées. N’importe quoi est mieux que d’être au chômage. C’est l’enfer. Les boulots que je décris dans « Tribulations » sont peut-être atroces, mais tous sont mieux que d’être sans emploi.

N’y a-t-il rien de comparable à raconter sur notre vieille Europe alors que nous aussi nous basculons lentement mais sûrement vers un système de plus en plus libérale qui prend exemple sur le modèle américain, même si celui-ci est déclinant ?

Il y a tellement d’auteurs talentueux qui connaissent l’Ecosse mieux que moi. Je n’y ai pas été depuis 20 ans. Je connais l’Amérique. Pour être franc, l’Ecosse c’est le passé. Par contre ils ont un super système de santé, et je suis encore un citoyen du Royaume Uni, donc si je tombe malade je saute dans le premier avion pour Glasgow. Ça pourrait peut-être faire un livre.

« Un petit boulot », votre second roman, premier paru en France, arrive donc tout de suite après « Tribulations ». Etait-ce une manière de pousser encore plus loin l’idée que pour survivre en Amérique, on peut tout accepter, même allez jusqu’à devenir tueur à gage juste pour garder l’estime de soi ? Est-ce que Iain Levison a rencontré, d’une manière ou d’une autre Jake Skowran et Ken Gardocki ?

Je l’aurais aimé… malheureusement, la plupart des gens que j’ai rencontré dans ces circonstances étaient beaucoup plus déprimés et abattus que mes personnages. Le fait d’avoir été renvoyé de leurs boulots a épuisé leurs résistances. Ils n’avaient plus de dignité. On ne se rend pas compte de la fragilité de notre infrastructure tout en entière jusqu’au moment où on perd tout. La façon de se sentir est liée à l’état de la communauté dans laquelle on vit, beaucoup plus qu’on le croit. Quand votre communauté se fait anéantir pour qu’une entreprise puisse gagner de l’argent, les gens sont blessés de façon psychologique autant que financier.Donc, les personnages sont plutôt des constructions de héros que je n’ai pas encore rencontrés.

En France, l’accueil de vos romans depuis « Un petit boulot » est toujours enthousiaste. On voit une continuité du travail d’un Michael Moore, la plume en plus. Comment ça se passe aux USA ? Quelles ont été les rencontres que vous avez pu faire au cours de vos tournées promotionnelles ?

J’adore l’œuvre de Michael Moore… il est un des seuls américains qui commence à parler des « éléphants dans le salon » (une expression pour dire les choses dont on devrait parler mais qu’on ne fait jamais). Moore parle du système de santé, des inégalités financières du marché libre, des abus de pouvoirs, du control des armes. Les medias grand public ne veulent pas toucher ce genre de sujet… ils préfèrent focaliser sur Al Qaida et Britney Spears; les sujets qui provoquent des réactions rapides et viscérales. Michael Moore et moi-même sont tous les deux des personnes de métier qui sont intervenus après avoir été abusé, mais c’est là où s’arrête la ressemblance ; Je suis un romancier et lui est cinéaste, et les médias attirent des types de personnalités différents. Il a aussi bénéficié du fait que les Etats Unis ont le gouvernement le plus débile de leur histoire. Bush est si abominable, et est en train de détruire ce pays d’une façon tellement rapide, qu’il représente une vraie opportunité d’affaires pour les réalisateurs tel que Moore, et pour des journalistes d’investigation. Les romans n’attirent pas le même marché. C’est plus subtile, plus lent. Mais je m’amuse quand-même.

Quels sont vos projets?

J’adore le livre sur lequel je travaille en ce moment. C’est dans la lignée d’ « Une canaille et demie », avec beaucoup plus de personnages. L’histoire se déroule dans une ville fictive près de la frontière canadienne, où la police locale commence à tuer les criminels plutôt que de les envoyer en justice. La fin est surprenante aussi.

Merci Iain Levison pour cet instant passé, à distance, en votre compagnie.

Merci… c’était un plaisir de discuter avec vous.

Propos recueillis par Sébastien Gendron pour L'ours Polar
Traduction de Alison Taylor-Granié
Les romans de Iain Levison sont publiés chez Liana Levi
Mais vous pouvez vous les procurer aussi ici

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