lundi 15 octobre 2007

Cherche ex-drogué

Le porte-à-porte est un grand classique du genre. Il suffit d'y rajouter deux ou trois paramètres spéciaux pour ça devienne extatique...

Dans les années 90, à Bordeaux, comme bon nombre d’étudiants, j’épluche les petites annonces. A force de rencontrer systématiquement la mention « cherche vendeur », je finis par répondre à l’une d’entre elles. Au téléphone, on me dit qu’il faut que je me présente le samedi suivant au bureau, à 7H00. Dont acte. Nous sommes une petite douzaine, mal réveillés, on nous fait asseoir et écouter pendant une demi-heure le boniment d’un chef d’équipe. Ce type nous parle d’un produit qu’il ne nomme pas et ne montre pas. Il nous donne les clés pour le vendre : authenticité, qualité, solidarité. Puis il nous annonce que ce produit, fabriqué de manière artisanale, doit être vendu au prix unique de 60 francs, soit 40 francs pour la société, 20 pour nous, ce qui constitue notre salaire. Là, un assistant fait paraître des cartons d’où il extrait… des brioches sous emballage plastique. Le voilà, le produit que nous allons vendre. Et ce, dès aujourd’hui. On nous embarque alors à six dans des camionnettes et nous partons sans la moindre information ni du lieu de vente, ni de la durée de la journée. En route, un type qui est monté devant, vendeur chevronné, nous fait l’article : ça fait six mois qu’il fait ça et il a gagné beaucoup d’argent. Il y a deux argumentaires qui marchent très bien. Le premier, vous êtes un ex-taulard tout juste élargie et vous devez vous réinsérer dans la société. Moi, avec mes cheveux longs, on m’attribue le second : je serais un ancien drogué qui sort de détox et j’ai besoin qu’on m’aide. Le type nous écrit ces petits laïus qu’il nous est demandé d’apprendre par cœur. Je suis en pleine répétition quand, le chauffeur s’arrête dans une station service : « il va falloir se cotiser pour le plein ! » nous annonce-t-il. Je déglutis et demande où nous allons. Aire-sur-l’Adour. Soit à 150 bornes. Deux heures plus tard, nous sommes parachutés dans un village des Landes. On passe nous récupérer à 13 heures. Mais je dois faire quoi exactement avec mon laïus ? Ben du porte-à-porte, tiens ! On bourre mon sac à dos de brioches et je me retrouve devant mon premier portail. Mon premier client est une femme qui m’écoute débiter mon passé fictif patiemment. Je tente de reculer le moment où je vais lui annoncer le prix de ce machin que je lui présente comme authentiquement artisanal. Combien ? Euh… 60 francs. La porte se referme, j’ai toujours ma brioche dans la main. Plus loin, je vois un collègue qui lève un pouce. A ma troisième tentative, un papy me prend deux brioches d’un coup après m’avoir fait cracher que j’étais pas plus drogué que lui. A 13 heures, le camion me récupère et on file sur Aire.
Là, ma première cliente a du temps pour écouter ma complainte. Elle est au chômage. Comme bon nombre de ses voisins : une usine vient de fermer, 800 personnes sur le carreau. Elle me propose un café, mais est désolée pour mes brioches. Le quartier dans lequel on m’a déposé est sinistré. Je fais choux blancs à toutes les portes, même pas le temps d’annoncer la couleur. Ah ! Si l’usine n’avait pas fermé. C’est quand même pas de bol. Je bois des cafés tout le long de la route, les gens sont affables et, ma pseudo réinsertion sociale dans la poche, c’est moi qui les écoute pleurer sur leur vie.
Je me retrouve à 18H au bout de la ville, assis contre les grilles des ateliers municipaux déserts, le soleil se couche derrière la montagne et je boulotte la moitié de mon repas : une brioche prise sur mon compte. Je me sens observé. Je lève les yeux et découvre, planté dans la treille au-dessus de moi, un crâne de chien que j’ai conservé de longues années dans ma chambre. J’ai gagné 60 francs. Moins la brioche au prix de gros, je remonte dans le camion avec 20 balles en poche. Mes collègues ont visiblement étaient plus requins.

Sébastien Gendron

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