mardi 16 octobre 2007

Portenaouak!

Si vous cherchez à vivre une grande expérience humaine dans un câdre correctement humiliant, n'hésitez pas: faites don de votre cerveau à l'intérim...

Un été, je fais des missions pour une boite d’interim à Bordeaux. Une société de travaux hydrauliques, la SADE, me prend pour faire le manœuvre sur un chantier. De nouvelles canalisations doivent être posées dans deux rues du vieux Bordeaux, on me refile donc un marteau piqueur et roule ! Je commence à défoncer le bitume du trottoir sous le regard d’un chef de chantier particulièrement retord. Je n’ai jamais fais ça, on n’a pas pris le temps de m’expliquer alors je fais comme mes collègues. Ca fait trois heures que je saute en rythme avec l’engin et que je déblaye ma casse, quand un ingénieur se pointe avec un plan du cadastre. Il s’approche de moi : « Fais gaffe quand même, on vient de se rendre compte qu’il y a une vieille ligne à haute tension là-dessous qui date de la guerre ! ». Je pose le marteau piqueur et j’enlève mon casque. Le chef de chantier se pointe : « Qu’est-ce que tu fais ? » Je lui parle de la ligne à haute tension et de mon intention de mourir à 80 ans passé, dans mon lit ou face à l’océan. Le type m’engueule, mais je demande à être affecté ailleurs. Il me colle entre les pattes d’un maçon portugais, à préparer la gâchée. Je demande au maçon de m’expliquer comment on prépare une gâchée mais le chef de chantier s’en mêle. Pas d’accord avec les doses que préconise le Portugais. Celui-ci à beau arguer que ça fait 40 ans qu’il fait ce métier et que les doses du chef sont trop importantes en ciment, l’autre ne lâche pas l’affaire. OK ! Je prépare la recette du chef et dans la matinée, le maçon et moi nous étalons cette gâchée sur la totalité d’une rue. A la pause de midi, assis sur mon casque, j’avale mon sandwich et ma bière en bouquinant. Le chef de chantier se plante devant moi : « T’assois pas sur ton casque, tu vas donner une mauvaise image de l’entreprise ! ».
A la reprise, c’est la panique : le trottoir que nous avons gâché est… blanc de ciment séché. Le Portugais se retourne vers le chef de chantier : « Je vous avez prévenu ». Le Chef est blême et cherche une solution. Qu’il trouve. Il me file une spatule et me demande gratter. Le maçon hausse les épaules, le chef s’en va, je gratte. En quatre heures, j’avance de trois mètres. A ce rythme, j’en ai pour la semaine.
Le lendemain, le chef est en train de s’entretenir avec le maçon. Un type de la DDE doit passer en fin de journée pour voir l’avancée de travaux. S’il tombe sur cette rue, c’est la catastrophe. Il faut trouver une solution plus rapide. Tiens, par exemple : l’acide chlorhydrique, en voilà une de solution. Ce type est dingue. Il m’envoie acheter des bidons dans une quincaillerie voisine et je passe la journée avec un autre intérimaire à badigeonner le trottoir d’acide. Plein soleil, un pauvre masque devant la bouche et en dessous, la nappe phréatique qui ramasse. Mais force est de constater que ça marche. A la fin de la journée, le trottoir est redevenu rose.
Ce type va encore me pourrir la vie pendant huit jours de diverses manières. Sa dernière tentative aura lieu au-dessus d’un trou au fond duquel il faut poser un regard d’égout. Ce trou, qui fait 90 par 90 pour deux mètres de profondeur n’est évidemment pas étayé. Eu égard à la petite formation que m’a donnée l’ingénieur de la sécurité avant que je n’arrive sur ce chantier, je refuse catégoriquement d’aller me faire ensevelir dans ce trou. D’autant que nous sommes juste à coté d’une des artères principales de Bordeaux, à quelques mètres seulement du passage de voitures, des bus et des camions. Le chef de chantier s’époumone pour me faire descendre alors que je brandis la carte de la sécurité. Il n’aura pas gain de cause. Mais trouvera un autre intérimaire moins scrupuleux quant à son avenir pour s’y coller.

Sébastien Gendron

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