lundi 29 octobre 2007

Galvaniser l'esprit

Qui n'a jamais goûter les joies de l'acide ne sait rien du monde de l'usine...

Intérimaire pendant mes études, je décroche un été une mission comme manœuvre dans une usine de galvanisation de métaux. Le manœuvre intérim découvre très vite qu’il ne connaît pas grand chose, c’est même ça qui lui attribue sa fonction d’ouvrier non spécialisé, autrement et diversement nommé « bon à tout faire », « va chercher », « jeune ». L’usine en question se trouvait dans la zone industrielle de Pessac. Si elle existe encore, je n’en sais foutrement rien. C’était un hangar qui abritait l’enfilade d’une dizaine de bassins d’acide. Au-dessus, un palonnier qui acheminait (donc) un palan. Ce palan partait de l’entrée de l’usine où j’officiais avec quelques collègues inqualifiés comme moi. Notre travail consistait à accrocher sur le palan diverses pièces métalliques allant de l’écrou au portail en passant par la barrière de sécurité. Une fois chargé, le palan élevait son chargement dans les airs et venait le mettre à tremper successivement dans les bains d’acide afin d’obtenir sa galvanisation (c’est à dire un revêtement antirouille à l’usage des siècles). Ce qui m’apparaît clairement à l’instant où le palan nous quitte et qu’il nous revient, c’est que je n’ai rien à faire pendant le quart d’heure que dure son voyage de bassin en bassin. Une récréation que j’apprécie d’abord grandement. Je suis un grand bouquineur et je trimballe toujours un livre dans ma poche. Un quart d’heure toutes les vingt minutes (c’est le temps que nous mettons à accrocher les ustensiles), c’est plus qu’il ne m’en faut pour lire et fumer une cigarette. Alors que mes camarades se contentent d’un jet de nicotines, je prends donc mes quartiers sous l’ombre d’un chêne et suis sur mes pieds dès que le palan est de retour. A mon troisième quart, alors que j’admire l’élévation du palan sur lequel nous avons attaché un portique d’un bon quintal, une goutte échappée des hauteurs me tombe dans l’œil. Bordel ! De l’acide ! Dans la panique, mon cerveau reptilien me rappelle que j’ai vu à ma première pause pipi que les lavabos disposaient de bains oculaires. Je lâche donc mes collègues et je cours aux chiottes, la main en bandeau. Las ! Le distributeur de sérum physiologique est vide. Je me rince abondamment l’œil sous 10 000 litres d’eau et je m’en sors avec des picotements qui vont digressant. De retour sous le palan, je choppe le contremaître pour me fendre d’une doléance. C’est quoi ce bordel ?! Le contremaître se marre et me renvoie aux occupations pour lesquelles sa société me rétribue. Je cause à mes camarades de ma scandaleuse expérience qui ne leur évoque qu’une silencieuse révolte et je reprends ma place dans l’accrochage des pièces sur le palan puis dans les lecture que m’impose les pauses. A midi, le contremaître me coince : « Dis donc, jeune ! On a pas l’impression que tu prends beaucoup de plaisir à bosser. Alors tu montes au bureau, on va te faire ta feuille ! ». Faire ta feuille, en langage intérim, ça veut dire, « T’es viré ! ».

Sébastien Gendron

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