jeudi 18 octobre 2007

Coupez!

Comment on les tourne les cascades au cinéma?
Souvent comme ça...


En 1999, je suis second assistant à la mise en scène sur le tournage du pilote d’une série policière. Le tournage se passe dans la Drôme au mois de février et, comme souvent lorsqu’il s’agit de télévision, le budget n’est pas au rendez-vous alors que le scénario recèle quelques cascades et une explosion de voiture. En général, les deux sont incompatibles, ce qui n’empêche pas les productions de rester rigides sur la bourse qu’elles ont entre les mains. La plupart des accidents sont dû à ça dans tous les métiers. Dans ceux de l’image, même sur des gros tournages, on grappille sur tout et arrivent des drames qui une fois analysés laissent songeur quant au temps laissé aux personnels pour organiser correctement de telles scènes. Seulement, le temps, c’est de l’argent. Même lorsqu’un cadreur y laisse la vie et qu’on condamne le cascadeur plutôt que le producteur, comme on a pu le voir avec la catastrophe de Taxi 3.
Sur notre tournage, il n’y a rien eu d’aussi éloquent, mais on n’est pas passé loin. La veille du jour où nous devons tourner l’explosion de la voiture, nous passons sur le décor avec le réalisateur. C’est un corps de ferme en face duquel la décoration a construit la façade d’une grange. Tout de suite, il s’avère que cette construction a été faite trop près du mur de la ferme. La voiture devant exploser entre les deux bâtiments, il y a des risques matériels importants. S’en suit une discussion animée. La directrice de production dit ne pas avoir les moyens financiers de faire reconstruire la grange à la bonne distance ; pour mon supérieur, le premier assistant, en terme de plan de travail, ce n’est pas infaisable : il suffirait de décaler cette journée sur une autre ce qui laisserait le temps de refaire le décor. Impossible, rétorque la directrice de prod, les contrats des comédiens sont déjà signés sur des dates fermes, certains pourraient en profiter pour réclamer leur dû et un supplément. On se tourne alors vers les artificiers conviés eux aussi au repérage. Comme souvent, ces individus tentent de nous rassurer en nous disant qu’il modifieront la charge placée dans la voiture pour ne pas qu’elle explose plus que nécessaire. Et nous en restons-là.
Nous tournons cette scène la nuit suivante. Trois caméras sont utilisées pour cet unique plan. L’une filmera en plan large à une distance de vingt mètres dans le dos de la voiture. L’autre, en plan moyen, à huit mètres du véhicule, la filmera de profil. La troisième sera positionnée de face, à dix mètres. Nous installons les caméras et je suis appelé par le cadreur de la seconde pour lui donner un coup de main au moment du tournage. Notre caméra, celle qui filmera le profil, est la plus proche de la voiture. Et nous ne pouvons pas reculer puisque nous sommes déjà appuyé à une partie basse du mur de la ferme. Le cadreur l’installe sur un petit trépied bas et nous nous asseyons de part et d’autres de l’appareil. On nous équipe avec des casques antibruit, le moteur est lancé, les artificiers déclenchent la charge, la voiture pête, je sens un grand vent chaud dans mon visage. On coupe, tout le monde applaudit. Nous passons le reste de la nuit à tourner autour de la voiture qui se consume.
Quelques jours plus tard, nous recevons les images de l’explosion. Réuni autour du téléviseur, nous regardons les rushes de la seconde caméra (la notre, donc). C’est le cadreur avec qui je travaillais ce soir-là qui s’occupe du magnétoscope. Tout le monde se félicite de ce premier plan sensationnel, mais le cadreur me regarde d’un air bizarre. Un détail semble clocher. Aussitôt, il fait rouler la bande pour voir les images de la troisième caméra, celle qui se trouvait face à la voiture. Et tout le temps où la bande défile, il me regarde. Lorsqu’on découvre le plan tourné, personne ne se rend compte de rien sauf le cadreur qui me dit « Tu vois rien ? ». Non, je ne vois rien. Alors il passe les rushes image par image. La voiture explose très lentement et ce que je vois me fait trembler les genoux : le capot de la portière qui se trouvait face à nous, soufflé par l’explosion, se détache et part à l’horizontale à une vitesse hallucinante à la droite du cadre, soit dans notre direction. Coup de chance, il prend suffisamment le vent pour s’élever un peu. Lorsqu’il quitte le champ, nous déterminons qu’il vol à peu près à un mètre quatre-vingt du sol, à la hauteur d’un homme debout. Et ce soir là, nous étions assis autour de la caméra. Et pour mieux nous convaincre de notre chance, il suffit de revoir image par image ce que notre caméra a tourné. Le capot de la portière se détache très lentement à l’horizontale dans notre direction et, masse noire à peine visible, passe juste au-dessus de nos têtes. Avec une caméra plus haute nécessitant deux opérateurs travaillant debout, nous étions l’un comme l’autre décapités.

Sébastien Gendron

1 commentaire:

belleng a dit…

Je résume : la voiture explose, la portière s'envole à 1,80 m du sol, horizontalement et dans votre direction. Elle vous passe au dessus de la tête et vous ne devez votre salut qu'au fait d'avoir été assis et non debout... OK... Mais, si je ne me trompe, vous étiez adossés au mur de la ferme. Fort logiquement, la portière aurait dû s'écraser sur ce mur et vous retomber sur la gueule, non?

Merci de m'éclairer sur "le détail qui cloche" sans quoi, je saisirai mon avocat.
recevez, etc, etc,...